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tandis que la poudre de café apparaissait jaunâtre. Le chat de la maison sautait d’un
meuble à l’autre, dans un environnement qu’il voyait comme étranger et un peu
dangereux, presque comme un vaisseau spatial. Enfin il reconnut sa propre odeur dans
un coin du tapis, et il se calma.
Ce fut alors qu’il commença à pleuvoir. Les gouttes irisées ressemblaient à de petits
diamants, aux multiples facettes. Elles laissaient leur marque partout, où elles
frappaient. Elles brisaient les vitres, perçaient les parapluies et laissaient des bosses dans
les toits des voitures. Il semblait vraiment que la fin du monde était en train d’arriver.
C’est alors que la rivière a commencé à changer de couleur. Après des décennies de
harcèlements, après les vols de l’eau et les salissures de toute nature, versées dans ses
eaux, la rivière a décidé de se venger, en choisissant librement sa propre couleur. Un
filet un peu plus ludique a essayé de devenir jaune, puis rose, puis de virer au rouge,
tandis que d’autres ont opté pour la gamme des verts. Les tresses d’eau se sont colorées
comme un arc-en-ciel, ou comme ces tresses de fils de coton, parmi lesquelles vous
pouvez choisir les fils de raccommodage. Les eaux pétillantes semblaient célébrer une
soudaine fête foraine de joie et de couleurs. Juste après, tous les filets d’eau de la rivière
se sont mélangés les uns aux autres et tous ont pris une couleur indigo, pareille à l’encre
des anciennes plumes stylos.
Le soleil tapait sur les vagues et les remous et en tirait mille reflets. Les pêcheurs en
étaient stupéfaits. Les poissons en étaient encore plus stupéfaits. La nouvelle se
propageait rapidement. La rivière colorée en indigo frappait contre les piliers de
l’ancien pont médiéval et tout le monde allait pour voir la nouvelle couleur de l’eau.
Il semblait que l’eau avait voulu tracer des volutes et des arabesques sur le sable des
rivages et des îles, comme le ferait l’écriture agile d’une main expérimentée.
Doucement, les signes ont pris forme et sont devenus des mots. Les ruisseaux ont décrit
mille, dix mille, cent mille fois le même mot, sur tout le cours de la rivière: « Assez!
Assez! Assez! »… Ça suffit avec la pollution? Avec les guerres? Chacun a interprété
l’expression comme il le souhaitait. Tout le monde avait quelque raison pour dire « ça
suffit » et donc tout le monde était d’accord.
À ce stade, vous vous attendrez à ce que le dépotoir des ordures de la ville se soit
transformé en quelque chose de beau ou de terrible, que le bubon des eaux usées ait
explosé, se transformant en dragon monstrueux, ou que des roses et des fleurs odorantes
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