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« Pourquoi paraît-il si intéressé par le paysage ? », se demanda Yo. La
               réponse s’écrivit en pointillés dans une série de phylactères cotonneux. Tout juste sorti

               de prison, l’homme goûtait la liberté, la joie de voyager enfin seul, se rassasiait de
               paysages lointains. Il tentait d’oublier la promiscuité, les brimades, les frustrations,

               bref, l’enfer de deux longues annéesd’incarcération.

               Cédant à la torpeur qui l’envahissait, la voyageuse d’outre-temps fit comme lui et,
               contrairement à ses habitudes, elle se permit d’allonger ses jambes sur la banquette.

               Pensive, elle s’absorba elle aussi dans le spectacle mouvant au-delà de la vitre. Avec
               ces dernières semaines de tiédeur et d’humidité stagnante, la Bretagne s’accrochait à

               l’été et peinait à s’orner des rutilances automnales. Toujours bien verts, les pâturages,
               haies, forêts et bosquets défilaient dans la grisaille du crachin. Etourdie par la

               monotonie de ces mornes successions, l’attention de Yo baissa. Sa tension aussi. Elle

               sombra dans un sommeil profond sans s’en rendrecompte.
               L’ex-taulard lui jeta un coup d’œil, surpris. Dans son étrange tenue moulante, cette

               passagère endormie ne le laissait pas de marbre. On ne sort pas indemne de deux

               ans d’incarcération : l’autre sexe avait fait partie de ses besoins tendus que les revues
               à gros nénés n’avaient su qu’exacerber ; ce joli lot abandonné sur la banquette était

               un cadeau du ciel. Une envie furieuse le torpilla. Il se leva sans bruit et bloqua le loquet
               de la porte. La belle était pour lui. Il plaqua lourdement sa main gauche sur la bouche

               de Yo au cas où elle criât et, de l’autre, lui arracha sa ceinture. Le forcené pesait de
               tout son poids sur le corps de la jeune femme ; de la main droite il farfouilla plus bas

               et réussit à faire glisser la fermeture éclair de sacombinaison.

               Yo tenta de se redresser mais la puissante paluche plaquée sur sa figure l’empêchait
               de respirer. Bien que suffocant, elle eut quand même le geste qui sauve : elle réussit

               à faufiler sa main jusqu’à son calendheure qu’elle pressa fortement.
               L’appel vers Tluabit partit immédiatement. Rassurée, Yo se laissa glisser dans une

               syncope exutoire. Elle ne mourrait pas sur l’Ex-Planète-Bleue.

               Pendant ce temps, surexcité, ahanant et pantalon ouvert, l’ancien détenu profitait
               amplement de la situation.

                Mais bien qu’elle parût inanimée, l’enveloppe charnelle de Yo entrait dans sa phase
               de libération. Comme dans un rêve, des rushes scintillants flashèrent la nuit de son

               cerveau, un froid glacial la cristallisa puis les ténèbres l’aspirèrent par un point

               minuscule : la porte salvatrice vers l’infini de l’outre-temps.
               Et c’est ainsi que Yo disparut, happée par le vide spacio-inter-temporel.

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