Page 48 - tmp
P. 48

Tous ces faits constituaient l’histoire de cette micro société et notre habitante puisait dans ces us
               comme les forces de son existence.

               Généralement les enfants filles et garçons aidaient aux travaux des champs, puis jouaient ensemble :
               jeux d’adresse aux beaux jours à l’ombre des meules de paille et de foin ; jeux de patience chez l’un ou
               l’autre pendant les périodes d’hiver.

               En passant près du bois du « Ménez » la locomotive peina, un souvenir lui revint en tête : elle reconnut
               l’endroit proche du champ d’ajonc ou elle et ses amis avaient pris des galets sur le ballast pour les mettre
               sur les rails. Les roues écrasaient ces obstacles, restaient une poudre blanche et une odeur bien
               particulière mélange d’explosifs et de pharmacie. Une autre fois le chauffeur descendit de sa machine …
               ils prirent leurs jambes à leurs cous, ce fut la dernière fois.

               Parfois, par temps de sècheresse, en Aout ou Septembre ils devaient « surveiller le train » car une
               escarbille échappée de sa cheminée pouvait mettre le feu aux parcelles de céréales ; cela se produisit en
               1936. Le village entier prit pelles et seaux et surtout des ballets de genets et parvint ainsi à éteindre
               l’incendie.

               Elle sortit de ses souvenirs et retourna à la réalité : là, derrière cette cloison un trio voyageait et il se
               tramait une histoire et que, pour sûr, elle serait ce soir la dinde de l’affaire.

               Elle imagina même qu’une promesse de fiançailles aurait pu s’échafauder entre Youen et Maria ;
               n’avait-elle pas entendu, lors de travaux agricoles, que leurs champs contigus seraient plus aisés pour les
               labours s’ils se trouvaient réunis.

               A contrario, elle le savait : Youen voulait faire des études d’infirmiers car il imaginait les corps et les
               esprits à remettre d’aplomb ; et ceci contredisait la supposition précédente. Elle se mit à regretter de ne
               pas lui avoir dit son attirance à son égard ; par timidité sans doute, mais aussi à cause de cette réserve
               naturelle qui, à présent, la desservait.

               La mâchoire serrée de dépit, elle tapa du pied le plancher en bois du wagon. Son voisin à-demi endormi
               sursauta ; puis elle respira profondément, regarda au travers de la vitre noircie les dernières collines
               boisées, vérifia la présence de son panier contenant six livres de beurre à déposer chez l’épicier de la
               grand- rue.

               Le train rentra en gare, son signal sonore retentit ; le coup de frein secoua l’ensemble de la voiture, les
               voyageurs, déjà debout, durent tenir serrées les barres d’appui. Notre solitaire prit son panier,
               d’ordinaire elle le trouvait lourd, mais, vu les circonstances elle n’y porta pas attention. Elle descendit les
               deux marches et s’engagea vers la sortie.

               Elle sentit une petite tape sur son épaule et se retourna. Youen était là tout sourire, ses deux
               accompagnatrices le suivant de près. Son émotion fut totale, elle fondit en larmes, deux fontaines
               coulèrent sur ses joues, elle hoquetait, aucun son ne sortait de sa bouche.

               Youen se demanda bien quelle était la raison de cet état. Il resta comme interdit, incapable de
   43   44   45   46   47   48   49   50   51   52   53