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N° 5
                                                      Paquets

                                                    clandestins




               Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles
               qu’elle avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses

               pensées furent interrompues par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle mit un
               pied sur la première marche, leva la tête et s’arrêta brusquement.

               Au-dessus de la porte, le message venait de s’afficher.

               Personne d’autre qu’elle ne pouvait voir le texte clignoter dans son cartouche
               fluorescent. On la rappelait là-bas, et avec insistance. Elle n’irait pas plus loin ! Adieu

               la chance d’être élue miss Bretagne ou miss France. La lumière du cartouche
               s’estompa d’un coup, en même temps que les signes tluabitiens connus d’elle seule.

               Perturbée, Isis faillit redescendre.

               Isis était le prénom qu’elle avait donné à ses nouvelles amies pour pouvoir participer
               au concours. Derrière elle, sous la pluie, chargée d’un sac volumineux, une fille rousse

               s’impatientait. Hésitant encore, Isis escalada les marches suivantes. Dans le couloir,
               elle fut poussée sans ménagement par le gros sac de lapassagère.

               Se trouver dans un train n’était pas l’idéal pour son retour vers TluabiT. Isis en mesurait

               tous les risques, mais c’était trop tard. Ses trois amies, qu’elle avait surnommées « Les
               trois L » : Léa, Line et Luce, elle les regrettait déjà ; toutefois elle espérait avoir le

               temps de revoir la dernière, la grande Luce, qui devait l’attendre en gare de Redon.
               Coup de sifflet : le convoi s’ébranla. Isis s’assit sur la banquette libre du premier

               compartiment. Elle redevint mentalement l’agent féminin Yo, du 35           ème  planétoïde
               tluabitien où le Comité Ex-Planète-Bleue la rappelait en urgence.

               Devant elle, tenu grand ouvert, le journal OUEST-FRANCE du 22 septembre 1958

               affichait ses gros titres. Sous la fenêtre, surgi de l’ombre, un chien noir se leva.   Un
               « Couché ! » fusa ; le journal soudain baissé dévoila un crâne chauve et une figure

               rougeaude, puis un pull rayé jaune et noir tendu sur une bonne bedaine. Yo sourit. Lui

               revint la réflexion de Luce au Café de la Plage à propos du gros barman en polo rayé
               jaune : « Ce n’est pas Maya l’abeille, c’est Maillot la Beuille ». Elle n’avait compris

               l’allusion que plus tard, dans une librairie, en voyant un album avec la petite abeille.
               Le bonhomme flatta son animal et montra la vitre emperlée de pluie en s’écriant

               : « Quel temps ! Un vrai temps de chien ! »
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