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L’appréhension de l’avenir l’envahit. Son travail actuel sur l’Ex-Planète-Bleue serait
attribué à une tluabitienne plus jeune. Quel rôle aurait-elle alors ? Elle appréhendait
surtout le train-train des activités subalternes qu’on réservait aux anciennes.
Yo se leva mais se rassit aussitôt : la tête lui tournait par manque de carburiture. Elle
fouilla dans son sac en bandoulière. Panique : son distributeur n’y était plus ! Elle
s’aperçut alors que ce n’était pas son sac, mais celui de Luce. Les deux, identiques,
provenaient de la même boutique. Elle se souvint qu’au Café de la Plage, son amie
avait ramassé son sac tombé de sa chaise, le confondant peut-être avec le sien. Mais
l’avait-elle vraiment confondu ? Elle n’avait plus qu’à retrouver Luce à la gare pour
récupérer son bien. Contrariée autant qu’affaiblie, Yo se mit debout en s’accrochant
au chambranle, puis elle arpenta le couloir d’un pashésitant.
A l’autre extrémité, apparut un homme en uniforme et casquette : le contrôleur. Un
personnage scrupuleux et imbu de son rôle, elle le perçut immédiatement. Donc à
éviter. Elle s’engouffra dans le compartiment suivant.
Celui-là était occupé par trois personnes. D’un côté, la fille rousse qui l’avait poussée
à monter étudiait des documents étalés sur la banquette. De l’autre côté : assis, deux
hommes très différents. Celui contre la vitre, très droit, dans une pose étudiée, la
dévisagea avec intérêt puis lui adressa un salut avec un sourire ambigu. Yo lui rendit
un regard glacial : son départ pour TluabiT la préoccupait bien plus que les politesses
masculines de rencontre.
Pour faire de la place à la nouvelle arrivante, la jeune rousse regroupa ses dossiers.
Yo eut juste le temps de lire un titre : Être femme au siècle des Lumières. « Quel siècle,
celui-là ! » pensa Yo qui l’avait justement visité en long et en large. Mais qu’en était-il
des femmes en ce milieu du XXe siècle ? Le temps avait-il fait évoluer leur situation ?
Le mâle affichait-il encore sa supériorité, comme peut-être celui près de la vitre ? Yo
l’examina de biais. Il avait tout du séducteur confirmé. Cheveux poivre et sel coupés
avec art. Petite moustache grise. Peau soignée. Costume, chemise et cravate
impeccables ; à ses pieds, un gros cartable en cuir. Quel métier ? Dans la bulle
mentale au-dessus de sa tête, Yo décrypta la profession et les pensées du bellâtre.
La libido de ce commercial s’excitait à la vue des avantages de l’étudiante : joli minois,
pull-over rondement bien garni et jambes gainées de nylon dépassant d’une courte
jupe écossaise.
Une feuille du dossier glissa au sol. Le séducteur se précipita pour la ramasser et eut
le temps de lire un nom : « Bella ! Magnifique ! C’est votre prénom ? »
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