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elle. Une proie impuissante, anesthésiée, tétanisée par l’effroi. Une seule pensée, aussi stupide
qu’incongrue, me venait dans ces moments-là : comment se fait-il qu’une locomotive
électrique en arrive à émettre des jets de vapeur ?
Olivia resta un long moment sans voix. Les mots de la sage-femme infusaient lentement dans
ses veines. Une coulée d’acide en train de dissoudre les fibres les plus intimes de son être. Il
était enfin temps pour elle de raccrocher les wagons d'un train qui menaçait de la percuter à
son tour ou qui l’avait, peut-être bien, déjà percutée. Une collision dont elle n’avait pas le
moindre souvenir. Une catastrophe qui, pourtant, avait probablement eu lieu. À son insu. Elle
entrevoyait peut-être enfin l’origine du souffle dévastateur qui avait ravagé son existence
depuis son départ de Malestroit.
Gladys l'avait trahie, le docteur Marques avait abusé de son innocence et ce, de la plus vile et
de la plus abjecte des manières. Olivia se sentit dévisser, emportée par un gigantesque
glissement de terrain. Tout s’effondrait, en elle comme autour d’elle. Elle se tourna alors vers
celle qui l’avait mise en garde et lui avait tendu une main qu’elle n’avait pas su saisir.
-Toi seule as tenté de me prévenir, toi seule as tenté de me protéger... fit-elle.
Moira, ébranlée par un séisme qui avait connu maintes répliques. Moira, son amie, sa grande
sœur, une figure presque maternelle à ses yeux. Sans doute à cause de son épais chignon
grisonnant.
-Toi seule... répéta Olivia.
Moira se mit à secouer la tête, frénétiquement.
-Non ! N’en crois rien ! s’écria la sage-femme, au bord de la crise de nerfs, le visage
ruisselant de larmes. Moi comme les autres... Comme toutes les autres… Ma vie depuis n’est
qu’un long et interminable tunnel…
Malgré toutes les suppliques d’Olivia, Moira refusa d'en dire davantage.
***
Les derniers espoirs de la jeune femme reposaient désormais sur Margot, celle des sœurs
Marquez dont elle s’était toujours sentie la plus proche. Moi comme les autres… De quoi
donc la sage-femme s’était-elle rendue coupable ? Quel acte avait-elle commis à ses dépens ?
-Je t'attendais... fit Margot.
Elle lui avait ouvert avant même qu'Olivia ait pris la peine de frapper à sa porte. Helga, timide
et curieuse à la fois, se cachait derrière sa mère. Le visage de Margot était serein. Comme si la
jeune femme était soulagée par avance du secret dont elle portait le fardeau depuis bien trop
longtemps et dont elle était sur le point de se délester. Le malaise entre les deux amies
semblait s’être dissipé depuis le soir précédent. Sans qu’elle l’ait cherché, Helga se retrouva
bientôt entre les deux femmes. Elle n’osait lever les yeux vers Olivia et entortillait ses boucles
brunes d’un air songeur. Margot saisit l’occasion :
−Voilà, je te présente ta fille, annonça-t-elle sans le moindre préambule, ajoutant dans le
même souffle : Et Jasper n'en est pas le père… Tu peux aller jouer maintenant…
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