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manifesté le désir de donner la vie à un petit être qu’elle saurait choyer et protéger de tous les
               dangers. La nature, hélas, la nature lui avait cruellement refusé son vœu le plus cher.

               −Comment s’appelle ta petite ? demanda Olivia.

               −Helga, répondit Margot.

               −Helga ? s’étonna Olivia. Ce prénom scandinave ne s’accordait guère avec la chevelure très
               brune de la fillette. Margot ne semblait guère disposée à fournir le moindre complément
               d’information. Sept ans plus tôt, le jour même où était tombé le résultat de son test de
               grossesse, Olivia lui avait part de son ineffable bonheur à la perspective de devenir mère.
               Maladroitement certes mais sans penser à mal. Leur amitié en avait été gravement altérée. La
               plus jeune des sœurs Marquez avait blêmi, luttant de toutes ses forces contre la jalousie qui la
               rongeait jusqu’au plus profond d’elle-même. Olivia voulait croire que la fausse couche dont
               elle avait été victime quelques mois plus tard avait fini par éteindre le ressentiment d’une
               femme confrontée à l’injustice de sa propre stérilité.

               Le silence, qui s’était épaissi, semblait régurgiter, sous forme de grumeaux, le souvenir des
               épisodes les plus douloureux d’une histoire somme toute commune. Olivia avait alors offert
               de se joindre aux sœurs Marquez pour la veillée funèbre, qui devait sans nul doute être
               organisée. Le défunt méritait bien cet hommage de celle qui se considérait presque de la
               famille.

               −Il n'a pas souffert, fit Margot pour toute réponse.

               −Il n'a pas eu le temps, renchérit Gladys, dans un sursaut de conscience.

               Moira se contenta de hocher la tête en signe d'acquiescement.

               Margot lâcha seulement que la crémation aurait lieu le surlendemain et ne serait précédée
               d’aucun rituel particulier. Olivia s'offusqua intérieurement à l’idée que cet homme admirable,
               qui avait passé sa vie au service des autres, n'ait droit à aucune cérémonie d'adieu.
               -Cela aura lieu dans la plus stricte...

               Olivia aurait juré entendre le mot "inimitié" dans la bouche de Gladys. Celle-ci venait de se
               resservir un grand verre d'alcool. Quoi qu'il en soit, le message était clair. Sa participation aux
               obsèques n'était pas souhaitée.

               -Dommage que l'on ne puisse incinérer les souvenirs avec, ajouta Gladys d'un air absent.

               En arrivant à Malestroit, Olivia s'était préparée à partager le chagrin de trois sœurs éplorées
               tout en se remémorant les jours heureux, entre deux crises de larmes. À la place de quoi,
               Moira, Gladys et Margot lui avaient paru pressées d'en finir, pressées de tourner la page,
               pressées de congédier tout ce qui pouvait leur rappeler le passé. À commencer par elle-même.
               Comme s’il ne leur suffisait pas que leur père soit mort et qu’il leur fallait faire table rase de
               tous ceux qui avaient croisé sa route.

               L'entrevue avait duré moins d'un quart d'heure. Aucune effusion n’avait salué le départ
               d’Olivia. Celle-ci avait quitté ses anciennes amies avec la certitude de ne plus jamais les
               revoir. Elle avait donc décidé de prendre dès le lendemain le train du retour.




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