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avait fini par lui communiquer l’adresse de Margot, la cadette. En ouvrant sa porte, celle-ci
avait tressailli, comme face à un revenant. Son visage s’était décomposé en une fraction de
seconde, et pas un mot de bienvenue n’avait franchi ses lèvres. Olivia avait fait le premier pas
et pris son amie dans les bras. Mais elle avait serré un corps amorphe, incapable de rendre
l’accolade. Olivia n’avait pas pour autant relâché son affectueuse étreinte. Car elle connaissait
mieux que quiconque l’état de sidération et d’inertie où vous plonge la perte d’un de vos
parents, voire des deux, comme cela avait été son cas une dizaine d’années plus tôt. Comment
aurait-elle pu en vouloir à Margot de masquer son chagrin sous un silence pudique et un brin
embarrassé ?
Olivia commençait à se reprocher de ne pas avoir prévenu de sa visite lorsque la tête d’une
fillette émergea entre les jambes de son amie.
−Mais que fais-tu encore debout à cette heure ? Remonte dans ta chambre et va vite te
coucher ! fit Margot d’un ton sec avant de se retourner vers Olivia.
−Tu veux peut-être entrer un instant ?
Une invitation du bout des lèvres… Margot restait néanmoins plantée sur le seuil, empêchant
l’accès à son domicile. Olivia eut l’impression de forcer le passage en s’introduisant dans
l’appartement de son ami.
Elle n’avait pas osé demander qui était cette enfant. Certainement pas la fille de Margot.
Olivia était tombée enceinte au moment même où son amie avait appris qu’elle ne pourrait
jamais avoir d’enfant, en raison d’une malformation congénitale de l’utérus. Ayant établi le
diagnostic, la médecine s’était déclarée impuissante à vaincre cette forme de stérilité.
En montant l’escalier qui menait à sa chambre, la gamine lui avait jeté quelques regards
furtifs et pétillants de curiosité. Olivia avait eu un pincement au cœur. Qu'il était triste de
grandir en étant seulement entouré d'adultes. Fille unique elle-même, elle savait de quoi il
retournait. Les sœurs Marquez n'avaient pas eu pour leur part à chercher bien loin la
compagnie d'autres enfants. Et après la mort de leur mère, aucune femme n’avait réussi à
monopoliser l'attention et l'amour de leur père.
Olivia trouva Moira et Gladys assises sur le canapé du salon. Ni l’une ni l’autre ne la
saluèrent. A peine levèrent-elles la tête pour prendre acte de son intrusion. Moira semblait
absorbée par son métier à broder. La plus âgée des sœurs Marquez maniait le fil et l'aiguille
avec une dextérité stupéfiante. C'était d’ailleurs elle qui l’avait recousue à l’issue de la
césarienne. En choisissant la carrière de sage-femme, Moira avait en quelque sorte suivi les
traces de son père.
Gladys réchauffait un verre d’alcool entre ses mains, comme si elle prodiguait des soins à un
oisillon tombé de son nid. Hormis les substances chimiques que son défunt père avait
coutume d’injecter à ses patients, il n’était sans doute pas de meilleur anesthésiant pour
assourdir une peine incommensurable. Tout à coup, le visage de Gladys se crispa et ses yeux
se mirent à fixer Olivia avec une intensité glaçante. La jeune femme semblait fouiller les
moindres recoins de sa mémoire.
−Au fait, c’est quoi, ton nom ? Olvidia, pas vrai ?
−Olivia, rectifia celle que l’on tenait désormais pour une étrangère.
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