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Trois ans plus tard, la voici guérie et lavée de l'injustice imposée contre son gré. Enfin... à

            moitié.



                   Le train s'ébranla et quitta la gare de Rennes en fin de matinée.

                   Pendant un instant, Victorine oublia la silhouette entraperçue, pour un flottement. Elle
            repensa à un film visionné en compagnie de ses amies de cellule.

                   Code inconnu de Michael Haneke.
                   Un  récit incomplet de divers voyages, composé de multiples fragments de vie qui leur

            ressemblaient à toutes les trois, et pourtant, persistait un signe, un code, un message, cependant
            incommunicable, condamné au silence. Au brouhaha ambivalent. À la confusion.

                   – Voilà, mes chéries, pourquoi on confond sans arrêt la soie et les épines, avait souligné en

            ronchonnant l'une d'elles.
                   Sur le coup, Victorine n'avait pas saisi cette distinction. On lui avait expliqué que c'était la

            même pour la douceur et le brut. Bref, toute la moitié du monde était comme ça.



                   Une main baladeuse s'empara de son poignet. Elle lâcha un cri. Tous les yeux se portèrent
            vers elle. Elle allait se défendre d'une majestueuse gifle, lorsque soudain, le visage imposteur se

            dessina :

                   – Désolé, je voulais pas te faire peur...
                   La « libérée », au bord de la chute, se figea. Devant elle, assis place 106 de la voiture 15,

            près de la lunette en bobine de film paysager, une figure indéfigurable, juvénile, impossible à ne pas

            ressasser. Indifférente de celles qu'on dorlote jusqu'à l'envol.



                   Il y a des choses qu'on ne doit pas jeter hors de ses souvenirs. De sa mémoire. Par exemple,
            le sourire de nostalgie. Mieux encore, la main tendue. Celle qui efface toute rudesse des alentours.



                   Victorine perdit son souffle. Le choc était trop violent. Son sac à main lui glissa des doigts.

            Alors que la déflagration était imminente, le jeune homme la rattrapa par l'épaule. Aussitôt, les

            passagers aux yeux de lynx, lassés des gestes devenus subsidiaires, se détournèrent.
                   Dans ce genre de malaise, le caractère insidieux tendait facilement vers le vertige. Il fallait

            que ça ne perdure pas trop longtemps, même si colmater des béances demeurait une épreuve. Il ne
            restait plus qu'à refaire le lacet. Le solidifier, ne serait-ce que lors d'une desserte.



                   Victorine, ébahie et au bord des larmes, se jeta dans les bras du garçon. Sans réfléchir. En


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