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N° 36
                                               LA SOIE ET LES ÉPINES


                   Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait
            considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle.

                   Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train.
                   La   porte   s’ouvrit,   elle   mit   un   pied   sur   la   première   marche,   leva   la   tête   et   s’arrêta

            brusquement.

                   Elle crut voir un éclair monter en flèche, franchir la plateforme de droite à gauche comme un
            filet de lumière. Pourtant, elle eut quelque peu analysé l'ombre en question : grande taille, sweat à

            capuche, jean délavé et ceinturé de pointes au bassin, baskets de ville.



                   Entre les murs, de ces ombres, elle en avait vu passer de couloir en couloir, de cour en cour,
            à force de déambuler pour se rendre à la bibliothèque ou à des ateliers de dessin et d'écriture. Elle

            ne parvenait plus à distinguer les couleurs, davantage grises, noires et blanches.

                   Mais là, c'était différent. On n'en trouvait pas des comme celle-là, de silhouettes.



                   Victorine rangea sa valise dans le compartiment et porta un énième coup d'œil à son billet.

            Voiture 15, place 105. À l'étage, non loin du bar.
                   Pour bonne conduite, ce genre de cadeau ne ressemblait pas du tout aux habitudes du

            personnel de la prison. Aucune place pour la pitié ou la compassion. En général, on passait à tabac
            le soleil pour gagner les ténèbres le temps d'un séjour.

                   Or, dans un train, cela pouvait nous être épargné pendant toute une durée du voyage, le
            confort en dépendait.




                   Persuadée de n'avoir pas rêvé, Victorine actionna la manivelle et la porte coulissa. Se dressa
            un ballet de regards distraits et innocents, endormis et concentrés. Avançant avec nonchalance le

            long de l'allée, elle contempla une vieille dame lisant un pavé contre la fenêtre, suivie d'une ado
            écoutant du hard rock les genoux contre son dossier. Une cagette ronronnait au-dessus d'un

            trentenaire chauve qui, lui, ronflait, au détriment de son chaton.
                   Ce fut au moment de cette traversée qu'elle entendit :

                   – Voie 7 : le TGV INOUI à destination de Laval va partir. Prenez garde à la fermeture

            automatique des portes. Attention au départ.
                   Dire que cette occasion lui avait été réservée de manière inespérée.






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