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certaines lunettes possédaient des ouvertures...



                   Ne pouvant que se résigner au silence, Victorine suivit son fils vers la voiture-bar. Il fit

            coulisser la porte et ne prit guère attention aux clients attablés au comptoir. Il insista pour payer.

                   Au moment de s'installer, elle replongea dans ses souvenirs.
                   Non seulement les rats s'invitaient, mais un homme : le directeur de la prison, ne lésinait pas

            sur les moyens pour rétablir l'ordre dans les cellules.
                   Dans une prison pour femmes, oui, un homme, un maître, un seigneur, un véritable bourreau

            et un macho. Toutes les attributions dont s'alléchaient les gardiennes.
                   Et même son propre mari, qui, lui, n'avait assisté qu'au premier jour du procès.

                   Un peu plus, et lui et le directeur pouvaient s'ériger en couple suprémaciste.



                   Les pupilles de Victorine dérivèrent vers la lunette.

                   Cette fois, l'appareil traversait un champ de tournesols. Au-dessus de leurs grands pétales,
            des nuées d'ailes affleuraient en liberté. Des pies. Des alouettes. Véritables esprits libres qui ne

            regardaient que devant. Faisant fi des erreurs du passé sans craindre la mort. Sagesse inculquée :
            celle de ne jamais plisser le plumage, ni froncer le bec, jusqu'à percer un tunnel vers la lumière. Un

            au revoir indélébile aux allures de papier déchiré.

                   – Te fous pas de moi, maman. C'est pas ton genre de te scarifier, tu te serais jamais fait ça
            toute seule.

                   Elle but une gorgée de bière au goulot, rivée à la myriade d'arbustes jalonnant les champs.

                   – Maman...
                   Tout d'abord, une évidence. Coupable. D'ailleurs, les poignets la lancèrent une énième fois et

            sa main tremblota, à tel point qu'elle lâcha prise. Cyprien rattrapa net la bouteille au ras du lino.
                   – Qui t'a fait ça ?

                   Enfin, l'adversaire lui tenant tête en échange de la vérité, la pression augmentant, Victorine
            s'avoua vaincue, tentant tant bien que mal de ne pas convier à nouveau les larmes. Elle repoussa sa

            bière contre la lunette, s'accouda à la table en plastique gris et fixa son grand garçon.

                   Dans la voiture-bar, il ne restait désormais plus que le gérant.
                   – De nos jours, la liberté a toujours un prix, maugréa la mère de famille. Quelle connerie...

                   – Où tu veux en venir ? lui demanda Cyprien, gagné par l'inquiétude.
                   La démangeaison rappliquant en puissance, Victorine se gratta nerveusement les poignets.



                   La veille, quand on avait révisé son dossier d'instruction, on avait abouti sur le fait que la


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