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Au centre pénitentiaire, le quotidien était répétitif, rythmé par les injonctions et engueulades
entre les gardiennes et les prisonnières.
Quitte à prendre des coups, le droit de liberté, cependant, se voyait en permanence restreint.
Victorine suivait toutes les directives à la lettre, marchait convenablement, comme
aujourd'hui, dans cette rame de seconde classe, sur le chemin des toilettes.
Comme elle, ses amies devaient faire leurs besoins en cellule, dans des baquets en plastique,
au vu et au su des autres.
Ce n'était pas la dignité qui manquait. Encore moins la charité.
Victorine ne s'en plaignait jamais. Elle obéissait, voilà tout.
Sur le miroir des toilettes, elle contempla son visage, émacié de taches de rousseur, ravagé
par des coulures de larmes légèrement constellées de bleu, avec des cercles concentriques violacés
sous les yeux. Des cernes comme ceux-là, dues à la fatigue accumulée à cause des heures décalées
de sommeil, ponctuées de rituels d'appels et d'inspections...
L'ennui n'était pas autorisé à entrer dans les corridors aux heures de pointe, pas plus qu'au
travers des barreaux.
Victorine passa ses mains au savon et se barbouilla la figure de toutes parts. Puis elle se
tamponna à l'aide de morceaux de papier toilette. Le rendu ne fut pas extraordinaire. Elle omit de
passer au peigne fin ses poignets qui lui faisaient un mal de chien.
Ça devrait aller avec le temps, surtout avec ses enfants.
Ses copines l'avaient encouragée le dernier jour :
– Garde avec toi le peu de soie pour ne pas subir les épines, c'est tout ce qui compte.
Victorine déverrouilla la porte coulissante, un sursaut la prit au cœur et elle chancela contre
la paroi aseptisée. Deux contrôleurs bleu marine piquetés de rouge et blanc allaient frapper.
Des regards comme ceux-là, hautains et austères, il y en avait eu toute une farandole, et qui
ne respiraient pas le sucre.
– Votre titre de transport, s'il vous plaît, réclama l'un.
Elle se redressa, ramena ses cheveux en arrière et défroissa son chemisier. Cadeau de sa
mère, bien avant le reniement causé par sa condamnation.
Tant pis pour les motifs de lilas et le tissu bleu ciel du Sud.
– Madame, vous vous sentez bien ? s'inquiéta l'autre agent. Avez-vous un titre de transport
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