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Alors Gisèle patientait. Elle allait de pièce en pièce, histoire de vérifier que tout était en
ordre, que chaque chose était à sa place. Seuls les trois trains de la journée qu'elle ne
pouvait manquer constituaient une rupture dans sa routine. Son aide à domicile, Audrey,
venait juste de la quitter, son frigo était plein et le ménage était fait. Elles avaient conversé,
parlant un peu de tout, de la vie, du temps qui fait, des souvenirs qui s'amoncellent. La
sympathique jeune femme prenait le temps de l'écouter et la faisait même rire. La vieille
dame n'était pas isolée, heureusement. Pourtant, elle se sentait faible depuis quelque
temps, ses forces déclinaient.
Elle sursauta quand le dernier train de la journée passa. Elle le regarda jusqu'à ce qu'il
disparaisse et ne put s'empêcher de penser à celui, mystérieux, qui n'était pas réapparu.
Plusieurs jours passèrent et elle finit par l'oublier. Après tout, Véronique avait peut-être
raison, elle avait sans doute abusé ce jour-là de médicaments sans s'en rendre compte.
Celle-ci en fut soulagée.
− Ah, je préfère te savoir comme cela, maman ! Mais fais attention à tes dosages, au
besoin, vois cela avec Audrey. D'accord ?
− Oui, ma fille, ne t'inquiètes pas.
− Bon. Tiens, je t'ai apporté quelques gourmandises, mais ne mange pas tout d'un
coup !
− Merci, j'essaierai.
− Je te trouve fatiguée, tu es sûre que tu dors bien ? Que tu fais bien ta sieste tous
les jours ?
− Oui, mais j'ai l'impression d'être tout le temps épuisée. Ca doit être la chaleur.
− Oui, sans doute. Ecoute, on ira faire le point chez le médecin, on en profitera pour
renouveler ton ordonnance.
− D'accord. D'accord.
Véronique l'embrassa et la laissa, non sans la regarder avec une certaine inquiétude,
avant de fermer doucement la porte. Elle se promit de ne plus l'embêter avec ces histoires
de trains, après tout, si ça distrayait sa mère..
Le lendemain, après le passage du 16h56, Gisèle entreprit de ranger des papiers. Ainsi
occupée, elle ne se rendit pas compte que presque deux heures avaient passé. Quand
19h00 sonnèrent, la vieille dame fit un bond sur sa chaise. Ce n'est pas la pendule qui la
fit sursauter, mais ce bruit de ferraille roulante au lointain, ce son régulier qui se
rapprochait. La pâleur envahit son visage parcheminé et s'aidant des coins de la table, elle
se posta en tremblant à la fenêtre. C'était le même engin coloré, long, incroyablement long,
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