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−  Et alors, maman, c'est peut-être un horaire spécial, un train qui aurait beaucoup de

                    retard, ça arrive, tu sais ?
                −  Non, je suis sûre que non.. Il était très bizarre, plein de couleurs..

                −  Comment ça, plein de couleurs ?

                −  Eh bien, il y avait du rouge, du jaune et du violet, je crois. Et puis il est passé vite, je
                    n'ai pas eu le temps de tout voir.

                −   Maman, tu es sûre de ne pas avoir pris trop de cachets ?

            Et voilà !  Elle s'attendait à ce genre de remarque. Comme toujours. On  ne la croyait
            jamais..

            Véronique ne dit plus rien et observa Gisèle, inquiète.
                −  Tu es sûre que tu vas bien, maman ?

                −  Oui, oui...

                −  Bon.. Mais je t'en prie, repose-toi, prends bien tes médicaments mais ne dépasse
                    pas la dose. Et arrête un peu de penser à ces trains !

            Elle était marrante, Véronique ! Ne plus y penser, alors qu'elle n'avait que cela à faire ! Ne
            plus regarder l'heure  et leur passage,  alors qu'elle avait tout le  temps  de ne pas les

            manquer ! Oui, Gisèle avait le temps, elle avait même l'impression que chaque jour qui

            passait était un morceau d'éternité, où les choses, figées dans les souvenirs, se
            recouvraient un peu plus chaque soir d'un léger nuage de poussière. Oui, la vieille dame

            avait le temps et sa vie, souvent, lui apparaissait aussi lasse et vaine que les aiguilles de

            la pendule qui continuaient leur course  effrénée. Alors,  dans ces moments-là, elle
            ressentait un grand froid à l'intérieur, un sentiment étrange de fin. Sa fin.

            Mais pas question de raconter tout cela à sa fille. Elle était tellement aux petits soins avec
            elle, tellement attentionnée et aimante. Gisèle ne voulait pas l'inquiéter outre mesure.

            C'était son seul enfant et elle venait la voir régulièrement, en dehors des autres visites. Et
            cela, elle appréciait, mais l'exprimait rarement.

            La chaleur était bien là. Gisèle ne sortait  guère, préférant rester dans l'ombre  de son

            appartement, les stores à demi-clos.   Elle  s'affairait quand même, époussetant les
            meubles çà et là, déplaçant les photos trônant sur les grandes commodes. Il y avait toutes

            les époques représentées, toutes les étapes de sa longue vie.
            De son mariage jusqu'aux visages souriants de ses petits-enfants, en passant par sa fille

            sur la plage, son petit seau à la main. Elle pensa à son petit-fils et à sa petit-fille. Elle ne
            les avait pas vus depuis un certain temps. Habitant à l’étranger, ils avaient une vie bien

            remplie, mais aux dernières nouvelles, ils avaient promis de bientôt lui rendre visite.




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