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N° 34                               LE DERNIER TRAIN





            Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait
            considérées comme  ses amies. Un malaise persistait  en  elle. Ses pensées furent

            interrompues par l’arrivée  du train. La  porte s’ouvrit, elle mit  un pied sur la  première
            marche, leva la tête et s’arrêta brusquement.



            Elle regarda son poignet et s’aperçut qu’elle avait oublié sa montre dans le gîte. L’objet
            devait être posé sur la table  de  nuit de la  chambre  qu’elle avait  occupée pendant une

            semaine. Elle resta quelques secondes immobile, à mi-chemin entre le sas à bagages et
            l’allée centrale. Pendant ce court instant, le séjour lui revint en mémoire. Elles étaient trois,

            se connaissaient depuis longtemps et se faisaient une joie de ces quelques jours au bord
            de la mer.

            Mais voilà, peu  à peu,  quelques tensions étaient  nées entre elles pour devenir

            quotidiennes, voire pesantes et au bout du compte, elle avait accueilli la fin de la semaine
            avec un certain soulagement mêlé  d’une  grande désillusion. Leur séparation  avait  été

            brève et son instinct lui avait murmuré, comme une voie insistante, qu’elle ne les reverrait
            pas.



            Bah, tant pis ! Gisèle haussa alors les épaules, réalisa que cela n’avait aucune importance
            et  alla s’asseoir avec précaution à la place qui lui était attribuée. Elle chassa de ses

            pensées toute déception. Tant pis pour la montre, rien ne devenait précieux. Les gens sont
            ainsi et à son  âge, les flots  de  questions intérieures devenaient inutiles. Elle s’installa

            confortablement, bercée par le mouvement léger.

            Elle aimait les trains.


            De retour dans son modeste appartement, elle continua à s’accrocher à cela. Les trains
            passaient régulièrement devant chez elle et elle n’en manquait aucun. Car Gisèle accusait

            presque 89 ans. Certes, elle se levait encore seule, mais elle sentait bien que c'était de
            plus en plus pénible. Mais elle était têtue. Elle s'accrochait, elle voulait croire qu'il lui restait

            beaucoup de saisons à voir, de ciels à contempler. Et surtout, surtout, les trains.





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