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Il n'y avait pas beaucoup de passages, comme nous l'avons dit, mais c'était cela, le
quotidien de la vieille dame. La précieuse pendule, le bruit sur les rails.
Selon les saisons, elle l'entendait plus ou moins bien. Mais là, on était au milieu de l'été et
la brise annonçait son arrivée quelquefois plus tôt que d'habitude. Ainsi, un matin, Gisèle
fronça les sourcils devant la fenêtre. Son précieux train venait juste de passer. Contrariée,
elle revint s'asseoir en soupirant. Elle l'avait manqué et c'était rare, très rare. Maintenant,
elle faisait la moue, pestant tout fort contre elle-même. A ces moments-là, il ne valait
mieux pas lui parler du beau temps, du soleil ou des charmes de l'été ! Gisèle s'en fichait.
Mais ces moments-là étaient rares. Elle retrouvait vite sa lucidité et surveillait l'heure plus
que jamais.
Puis il se passa une chose étrange. C'était un soir d'été comme les autres, un peu lourd.
Un de ces moments où on se traînait un peu, on l'on sentait sa peau qui collait aux
vêtements. La vieille dame était assise devant la télé, un grand verre d'eau à la main. Car
les recommandations avaient, comme chaque année, été nombreuses, il fallait boire pour
ne pas se déshydrater ! Oui, Gisèle le savait, elle protestait énergiquement qu'elle n'était
pas encore sénile et qu'elle en avait conscience ! Bien sûr, on n'osait pas l'engueuler, vu
son grand âge. Malgré tout, Véronique était repartie en lui laissant quelques bouteilles
d'eau sur sa table de cuisine, à portée de main.
C'est alors que l'horloge du salon sonna 19h00 et qu’un bruit familier se fit entendre.
La vieille dame leva la tête, surprise. Elle se leva le plus vite qu'elle put et faillit trébucher
contre un meuble. Derrière sa fenêtre, elle vit un train passer, un train étrange, coloré,
avec au moins une dizaine de wagons.
Il circulait lentement, très lentement. Gisèle eut largement le temps de le regarder, la
bouche ouverte d'étonnement. Elle porta la main à sa poitrine, soudain prise d'une
angoisse indescriptible. Puis, après quelques secondes, il prit de la vitesse et disparut très
vite.
Il n'y avait jamais de train à cette heure-là, d'où sortait celui-ci, de quelle gare, de quelle
ville ? Après un dernier coup d'oeil à la pendule, elle resta quelques secondes, debout, se
tenant à une chaise, les yeux dans le vide. C'est sûr, elle allait en parler à sa fille, même si
celle-ci la regarderait encore avec un sourire en coin.
C'est ce qui se passa, immanquablement. Après l'avoir écoutée, Véronique haussa
lentement les épaules.
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