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En déposant son sac à dos et son manteau sur le porte-bagages au-dessus de son siège, elle
               vit revenir l’homme qui l’avait interpellée plus tôt. Il courait toujours mais, cette fois, en

               direction du train. Visage écarlate et souffle court, il hélait le chef de quai avec ce qui
               ressemblait à un journal, sûrement pour lui demander de retarder la fermeture des portes.

               Manque de chance, le cheminot lui tournait le dos et les beuglements du sprinter devaient être

               couverts par les autres bruits de la gare. L’homme de la SNCF ne l’entendit pas.
                   — Mathias ! Il s’appelle Mathias ! s’écria Mathilde, toujours debout dans le couloir, les

                      bras en l’air et les mains encore posées sur son sac à dos.
               Le passager assis derrière son fauteuil leva un regard sévère du journal qu’il parcourait et

               racla sa gorge avec insistance. Elle pivota vers lui et se tassa légèrement dans ses épaules en

               guise d’excuses. Au même moment, Mathias s’engouffra dans le train, juste avant que les
               portes ne se ferment sur lui. Une clameur s’éleva de la rame voisine mais Mathilde n’en

               entendit pas plus, à son grand regret. Trouve une excuse pour aller voir ! se supplia-t-elle
               intérieurement. Habituellement, elle débordait d’imagination. Mais là, elle séchait… Même

               ses repères sûrs comme ses idées lui manquaient. Nouveau caillou dans l’estomac. « Attention,

               il n’y a bientôt plus de place » aurait pu crier son œsophage. La mine déconfite, elle se résolut
               à s’asseoir et consulta machinalement son téléphone en repensant à la course de Mathias.

               C’est le sentiment d’urgence qu’elle avait décelé sur son visage qui lui avait fait se rappeler
               son prénom. Le même qu’elle avait vu, vingt ans plus tôt, alors qu’il se faisait courser par le

               border collie du père d’Elodie. Nouvelle grimace. Mathilde n’avait aucune envie de repenser à
               Elodie ni à Sandrine et Magali d’ailleurs. Ses « amies » étaient allées trop loin. Pour les

               chasser de sa tête, Mathilde se concentra sur le souvenir de Mathias. Pourquoi le chien lui

               courait-il après ce soir-là ? Dans son souvenir, Buddy était un animal inoffensif. Sauf si
               quelqu’un s’approchait de trop près des brebis qu’il gardait. Les brebis bien sûr ! se rappela-t-

               elle en se frappant le front de la main. Cette année-là, un « voyou », comme l’avaient
               surnommé les gens du village, avait ouvert l’enclos et une dizaine de bêtes en avait profité

               pour s’échapper. Et le voyou en question était le neveu de l’agriculteur. Mathias, le cousin
               d’Elodie ! Ironique. Moi qui cherchais à m’éloigner d’elle… s’agaçait-elle en cherchant à

               s’installer mieux sur son siège.



                   — Salut ?

               Mathilde sursauta et s’y repris à deux fois pour rattraper son portable qui lui avait glissé des

               mains sous l’effet de la surprise. Mince, qu’est-ce qu’il fait là ? Mathias se tenait debout dans
               l’allée centrale, les mains dans les poches. Ses joues avaient retrouvé leur couleur d’origine.

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