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L’ÉLUE


              H-5.  Au  fur  et  à  mesure  que  les  minutes  s’égrenaient,  l’appréhension  prenait  le  pas  sur

           l’impatience.  Elle  plaça  ses  mains  en  visière,  les  plaqua  contre  le  carreau  puis  lança  son
           regard dans la quête de l’amer bariolé qui le conduirait irrémédiablement sur la barre grise du

           penty.


              Après  avoir,  en  quelques  clics,  fait  l’achat  d’un  billet  de  train  via  l’application  ad  hoc,
           silencieusement  et  à  tâtons,  elle  était  allée  récupérer  ses  affaires  puis  s’était  éclipsée,

           franchissant à pied, dans la semi-obscurité et la fraîcheur matinale, la poignée de kilomètres

           qui séparait l’endroit de la gare.
              Et dire qu’elle avait failli tout gâcher lorsque son portable lui avait échappé des mains avant

           de choir lourdement sur le parquet de la chambre.


              H-3. Son front se tassa contre la vitre lorsque le TER amorça une longue courbe. Elle plissa
           ses yeux alourdis de fatigue et les reposa avec peine sur l’horizon qui défilait lentement. Trop

           lentement…  La  quiétude  qui  transpirait  de  ce  paysage  bucolique  avait  sur  elle  un  effet

           relaxant,  voire  anesthésiant.  À  mille  lieues  de  la  montée  d’adrénaline  à  laquelle  elle  s’était
           attendue  à  l’approche  du  dénouement.  Sa  dernière  pensée  fut  pour  Mégane  et  sa  dose

           matinale de nicotine.

              « Terminus, ma p’tite dame ! »
              Tirée brutalement des bras de Morphée par le contrôleur, la déception la frappa de plein

           fouet  lorsqu’elle  jeta  un  regard  hébété  par-delà  la fenêtre.  Elle  saisit  son  bagage,  quitta  sa
           place sans envie, puis remonta la voiture à pas lents. À peine eut-elle fait quelques pas sur le

           quai que son smartphone se mit à vibrer dans les profondeurs de son sac. Elle entrouvrit la
           fermeture éclair, y passa une main, saisit l’objet, décrocha à l’aveugle et le porta directement à

           une oreille.

              « Oui, maman !? souffla-t-elle en levant les yeux au ciel.
              — Je sais ce que vous avez fait. »

              Elle  raccrocha  instantanément  à  la  voix  masculine  et  monocorde  tout  en  se  figeant  puis
           lâcha son portable comme s’il lui brûlait subitement la main. À présent parfaitement réveillée,

           elle avisa un banc et s’y installa, buste penché en avant, coudes en appui sur les cuisses, tête
           en étau entre les mains.

              Seule sa famille connaissait son numéro. Un appel au hasard ? Une erreur ? Une blague ?

           Elle n’y crut pas une seconde. La coïncidence était trop forte.
              « Il n’y avait pas de moyen moins… radical ? »


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