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N° 29
                                                         L’ÉLUE


              Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait

           considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle.
              Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train.

              La  porte  s’ouvrit,  elle  mit  un  pied  sur  la  première  marche,  leva  la  tête  et  s’arrêta
           brusquement.

              Sur la plateforme, deux gendarmes encadrant une jeune femme aux yeux battus venaient
           d’apparaître. Son cœur manqua un battement et, l’espace d’un instant, rebrousser chemin lui

           parut la meilleure chose à faire. Mais il était bien trop tard pour tout arrêter. Elle effectua une

           marche arrière plutôt maladroite puis s’effaça pour libérer le passage. Le militaire qui ouvrait la
           marche la remercia d’un léger mouvement de tête tout en lui prêtant une brève attention qui lui

           fit baisser les yeux.
              Tandis que d’un regard anxieux elle accompagnait l’étrange cortège qui se noyait dans la

           foule  de  ce  lundi  matin,  elle  sursauta  à  l’annonce  qui  résonna  inopinément  dans  les  haut-
           parleurs. Son train confirmé à l’horaire prévu, elle jeta un coup d’œil machinal à sa montre qui,

           bien  qu’elle  indiquât  8h09,  lui  renvoya  H-21.  Elle  se  hissa  dans  la  voiture  encore  déserte,

           choisit à dessein une place côté fenêtre et s’y cala, son sac de voyage entre les jambes. Ainsi
           installée,  elle  ferma  les  yeux,  soudainement  submergée  par  la  profonde  lassitude  qui  la

           gangrénait.  Mais,  sitôt  ses  paupières  closes,  le  synopsis  d’un mauvais  scénario  s’invita  sur

           leur envers.



              « Ta présence serait mon plus beau cadeau. »
              C’est accompagné de ces quelques mots et d’un sourire radieux que Mégane lui avait remis

           une invitation pour la célébration de sa toute récente majorité.
              Mégane avait rejoint sa classe lors de la dernière rentrée scolaire et s’était rapidement liée

           avec  deux  filles,  également  nouvelles.  Depuis,  toutes  trois  vivaient  quasiment  en  autarcie.

           Maintes rumeurs et interrogations n’avaient pas tardé à circuler au sujet de ce trio qui éveillait
           tant  la  curiosité  que  les  soupçons  et  que  chacun  semblait  redouter  sans  toutefois  oser

           l’avouer. Pour sa part, elle n’avait jamais prêté grande attention tant aux trois filles qu’à tous
           les cancans qui leur gravitaient autour. Elle se refusait également à penser, comme d’aucuns

           le suggéraient, que si on n’était pas avec elles, on était forcément contre elles.
              Son amitié avec Mégane était née du simple constat de la similitude de leurs téléphones

           portables.  Elles,  dont  les  rares  échanges  se  bornaient  à  quelques  banalités,  s’étaient  ainsi

           rapprochées. Cette évolution de statut jugée précipitée par bon nombre d’élèves avait entraîné




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