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voulait, en dépit de ses réticences. Parfois elle se demandait s'il n'était pas une sorte de magnétiseur

            ou de gourou déguisé derrière sa blouse de médecin.  Il savait habilement lui représenter sa vie
            présente ou celle qui l'attendait sans lui comme un échec, une lente descente aux enfers, pour lui

            faire miroiter ensuite, grâce à son remède miracle, une vie merveilleuse. Il lui disait ce qu'elle avait
            envie d'entendre et elle ne pouvait plus se passer de lui.


                           Des questions très pragmatiques pourtant la taraudaient régulièrement. Ce processus

            de rajeunissement était-il réversible ? Était-il limité ? Était-il sans dangers ? Et puis il arriverait bien

            un jour où les gens le remarqueraient, trouveraient ça étrange, puis carrément effrayant. Elle serait
            un monstre à leurs yeux. Alors il lui semblait qu'elle paierait son désir fou, cette tentation vouée à

            l'échec de  repousser la  mort, de maîtriser la vie et de se mesurer à Dieu, elle pensait à  Victor
            Frankenstein et à sa créature.




                           Elle ne sut jamais jusqu'où cette expérience  aurait pu la mener car un  matin, elle

            trouva le bureau du docteur Klein vide.
                           Elle descendit au premier étage et croisa le directeur auprès duquel elle s'informa,

            l'air de rien, des raisons de cette absence. Sans  parvenir  à cacher son malaise, Monsieur Ervich

            bafouilla des explications évasives.
                           Le lendemain elle apprit que Klein avait été démis de ses fonctions et poursuivi en

            justice. On avait découvert que le docteur administrait, à leur insu, à de nombreux patients, des
            substances interdites. Il fit la une des journaux cette semaine-là : « Un médecin psychiatre réputé et

            salué par ses pairs devenu fou », « L'horrible dérapage d'un médecin sans déontologie »,
            « Convaincu de posséder  « l’élixir de jeunesse », il utilisait ses patients comme cobayes »... Elle

            n'avait donc pas été la seule ?   Le choc fut brutal en réalisant que cette relation qu'elle avait malgré

            tout voulu croire privilégiée ne l'était pas du tout, qu'elle n'avait été qu'un rat de laboratoire parmi
            d'autres.

                           Quelque temps plus tard, Ervich disparut à son tour : il était mis en examen pour
            complicité. Une enquête policière eut lieu et Edith fut interrogée. Elle raconta ce qui s'était passé et

            découvrit qu'une bonne part de ses collègues avaient été approchés par le docteur et avaient accepté
            comme elle de participer à l'expérience. Des effets secondaires surprenants étaient apparus chez

            certains des patients et des victimes consentantes – si tant est que l'on puisse vraiment les considérer

            consentantes face à une personnalité aussi manipulatrice que le docteur Klein, ajouta le policier qui
            enregistrait le témoignage d'Edith – et avaient fini par mettre la puce à l'oreille à d'autres médecins.


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