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Il remarqua son trouble et la rassura aussitôt : « Ne vous inquiétez pas... J'ai pensé
que vous pourriez m'aider, dans le cadre d'une expérience importante, très importante... Vous voulez
bien m'aider ? »
Le ton de l'homme était à la fois calme, apaisant et d'une assurance inflexible,
irrésistible. Edith eut une sensation étrange, celle de n'être plus maîtresse d'elle-même, d'être à la
merci de cet homme, totalement. Mais c'était agréable, reposant. Il lui semblait qu'elle n'avait plus à
décider, qu'elle n'avait plus qu'à obéir, qu'elle pouvait enfin lâcher prise et se défaire de toute
responsabilité. C'est à cela qu'elle aspirait depuis plusieurs mois, non pas à la mort mais à l'oubli,
une forme de démission. Même se lever le matin était devenu pénible.
C'est ainsi que cela commença, de cette manière bizarre et brusque. Comme si le
docteur Klein avait eu le pouvoir de guider ses pas jusqu'à lui.
Klein lui décrivit les étapes de cette expérience et ses finalités dans un discours
onctueux, avec des termes qu'elle ne comprenait pas, il parla molécules et ADN, Edith écoutait sans
vraiment entendre et quelques mots qu'elle ne comprenait pas surnageaient dans ce magma et
affleuraient à sa conscience : « rapamycine », « immunosénescence », « mTOR », « pilules de
thérapie génique et épigénétique »... Klein ne la quittait pas du regard, tout en lui parlant il la
regardait droit dans les yeux et tout cela l'hypnotisait, sa douceur, sa persuasion, et puis il s'adressa à
elle plus particulièrement, elle serait le sujet d'une expérience scientifique révolutionnaire, elle
n'aurait rien à faire qu'à suivre ses consignes, ça ne serait pas douloureux, ni même contraignant
mais elle se rendrait ainsi extrêmement utile à l'humanité. Guérir l'humanité de la vieillesse : voilà
l'objectif sublime qu'il s'était fixé. On avait découvert des propriétés anti-vieillissement dans les
molécules de certains neuroleptiques, et il s'agissait de tester cela de manière plus radicale. La
vieillesse n'était plus une fatalité, et elle, Edith, n'avait-elle pas envie de rester jeune, n'avait-elle pas
peur de se voir vieillir, lentement se dégrader, perdre ses facultés mentales et physiques, sa beauté et
sa fraîcheur se faner irrémédiablement ? Elle avait trente-huit ans déjà mais ce n’était pas trop tard,
le processus pouvait encore s'inverser, il en avait la certitude. Le traitement qu'il avait mis au point
permettrait de lutter contre le vieillissement de l'organisme, de la peau mais aussi de régénérer les
neurones. Il n'était pas habilité à cela, bien sûr, il n'était pas chercheur, pas neurologue ni généticien
mais simple psychiatre, il devrait faire ses expériences d'abord dans l'ombre, mais un jour on le
remercierait, il en avait la conviction. Bien sûr il y avait déjà des recherches en cours dans ce
domaine dans des laboratoires de France et partout dans le monde, mais sa thérapeutique à lui était
différente, il avait eu une idée de génie.
« Cet homme est fou », cette idée la traversa et une vague peur bouscula son inertie.
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