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N° 103                              SÉNESCENCE




                           Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32,

            avenue du Manoir, 5ème étage, porte gauche.

                           Mais ce matin-là,  fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta  au 4ème étage,  et
            frappa porte gauche.

                           À peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond :
            « Enfin ! Je vous attendais. »


                           Edith tressaillit et s'immobilisa, figée par le ton impérieux et impatient de la voix.

                           D'où elle était, elle ne pouvait le voir mais c'était celle d'un homme, pleine et basse,

            puissante, et elle se représenta une carrure imposante, un corps qui prenait de la place.
                           Edith avait revêtu sa blouse d'infirmière et elle tenait un plateau à la main avec des

            seringues et divers ustensiles médicaux qui s'entrechoquaient au moindre mouvement.
                           Elle avait trente-huit ans et il  y avait maintenant dix ans qu'elle exerçait, mais

            seulement deux qu'elle  se rendait régulièrement dans cette clinique privée. C'était un bâtiment

            imposant, une construction ancienne mais rénovée, moins spacieux toutefois que l'hôpital public de
            la ville, ce qui lui donnait un côté plus chaleureux, rassurant. Cependant Edith ne s'y rendait pas

            tous les jours et  elle n'était donc en réalité pas si familière des lieux, et entretenait des rapports
            cordiaux mais assez distants avec le directeur de l'établissement, Monsieur Ervich, et les collègues

            médecins et infirmiers avec qui ses échanges demeuraient strictement professionnels.

                           Edith travaillait au 5ème étage, au service gériatrie. Elle n'avait jamais eu l'occasion
            ni même la curiosité de s'aventurer dans les autres étages, à l'exception du premier étage où se

            trouvaient les vestiaires et les bureaux. Aussi cette voix qui l'accueillit de façon si inattendue et avec
            tant d'aplomb la surprit-elle fortement, et elle pensa évidemment à une erreur au moment où elle

            réalisait qu'elle s'était peut-être trompée d'étage.
                           Elle bafouilla des excuses : « Pardonnez-moi ! Je me suis trompée de chambre... » en

            amorçant déjà un mouvement pour s'éloigner mais la voix reprit, plus insistante : « Entrez ! Entrez !

            Je vous attendais... »
                           Edith songeait que des  patients l'attendaient à l'étage au-dessus et qu'elle n'avait

            vraiment pas le temps de s'attarder ici, mais une pointe de curiosité peut-être et ce qu'il  y avait
            d'impératif dans l'élocution de l'homme la décidèrent et elle se dirigea vers la porte entrouverte au



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