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Maintenant elle voyait nettement la folie des grandeurs dans ces grands yeux illuminés. Il le sentit
peut-être et il changea de registre, son discours se fit plus mesuré, bien sûr vous n'êtes pas obligée
d'accepter, mais je vous observe depuis un moment et je pense que nous formerions un parfait
binôme, j'ai jeté mon dévolu sur vous d'une certaine façon et vous pouvez en être flattée, je vous
accorde toute ma confiance et j'espère que je n'aurai pas à le regretter, tout cela pour l'instant doit
rester entre nous, vous comprenez ?
Il lui tendit un flacon, rempli d'un liquide orangé. Vous passerez me voir chaque
semaine, c'est entendu ?
Et Edith se sentit renoncer, elle n'avait pas la force de lutter et après tout pourquoi
pas ? Ça ou autre chose... Et puis, oui, elle s'en rendait compte maintenant : elle avait peur, une peur
terrible de la vieillesse, un dégoût de sa vieillesse, de ces rides qu'elle voyait apparaître
insidieusement au coin de ses yeux, sur ses mains, de sa peau qui devenait plus flasque par endroits.
Arnaud avait dû la quitter pour cela, au fond, lui qui était plus jeune qu'elle. Et maintenant, que
pouvait-elle espérer ? Déjà elle ne sentait plus le désir dans le regard des hommes. Elle vieillissait et
elle n'aurait pas d'enfant, elle n'en voulait d'ailleurs pas, elle ne revivrait pas même sa jeunesse à
travers celle d'un enfant, par procuration. Elle vieillirait seule. Laide.
À moins que... à moins que cela marche après tout. Elle prit le flacon et en avala le
contenu.
Par ce geste elle scellait un pacte avec le psychiatre, et durant une année entière,
chaque semaine, elle se rendrait, au 32 avenue du Manoir, au 4ème étage, porte gauche, sans que
jamais Monsieur Ervich ni aucun de ses collègues ne soupçonne rien.
Le professeur mégalomane manipulait sa créature, il l'auscultait et guettait les signes
de rajeunissement, la preuve que son projet fou fonctionnait. Et en effet, la peau d'Edith devenait
plus lisse à mesure que les mois passaient, retrouvait la fermeté de ses vingt ans. Mais ce qu'elle
gagnait en jeunesse, Edith semblait le perdre en santé mentale : l’élixir du Docteur Klein était
devenu une obsession et loin de la combler, il l'épuisait dans cette lutte acharnée contre les marques
du temps. Elle avait, parfois, le sentiment terrifiant d'avoir perdu quelque chose de son humanité en
même temps que la sénescence tant redoutée.
Malgré tout Edith ne parvenait pas à se défaire des griffes du médecin, il lui semblait
qu'il lisait en elle à cœur ouvert, et choisissait toujours les mots qu'il fallait pour la convaincre.
Leurs rendez-vous clandestins n'étaient pas uniquement l'occasion de lui donner son breuvage : il
étudiait attentivement son comportement, ses attitudes et ses expressions, il avait ce pouvoir
presque surnaturel de saisir ses pensées et ses sentiments tout comme de la conduire là où il le
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