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fond du couloir. Les autres portes étaient toutes fermées, ce dont elle s'étonna. On n'entendait pas de

            gémissements, pas de raclements de  gorge, pas de faibles appels comme dans les couloirs de
            gériatrie : un silence troublant régnait.

                           Edith traversa donc le couloir, d'un pas mécanique qui résonnait sur le carrelage
            luisant.  La fatigue l'enveloppait comme dans de l'ouate. Depuis  sa séparation d'avec  Arnaud

            quelques mois plus tôt, une sorte de dépression lui coupait l'appétit et le sommeil et l'affaiblissait,
            elle d'ordinaire si sereine, équilibrée. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait : elle avait perdu

            goût à la vie et n'accomplissait plus ses fonctions d'infirmière, son rôle de fille auprès de parents

            déjà assez âgés, d'amie, que par devoir, mécaniquement. Dans son entourage on s'en étonnait et on
            commençait à s'inquiéter. Léa son amie d'enfance l'incitait à sortir pour se changer les idées mais

            Edith n'avait définitivement envie de rien et refusait toutes les propositions pour passer ses soirées
            en solitaire devant la télé.

                           Mais cet étrange appel avait eu raison de son inertie et elle s'arrêta devant la porte
            qu'elle entrouvrit doucement. Il entra alors dans son champ de vision, le corps penché sur une table

            recouverte d'une multitudes de produits : Klein, le psychiatre, c'était lui ! C'était un homme non pas

            obèse mais assez gros, la tête recouverte d'une chevelure noire foisonnante et frisée, des lunettes
            bleues sur le nez qui lui donnaient un air un peu fou. Il portait lui aussi sa blouse blanche.

                           Elle le croisait sans lui parler mais tout le monde ici avait beaucoup de respect pour

            lui, c'était un médecin renommé dans sa discipline, qui inspirait en outre de la sympathie avec sa
            dégaine de savant excentrique. Elle se souvint de l'avoir croisé à peine vingt minutes auparavant,

            lorsqu'elle était arrivée. Elle n'avait échangé avec lui qu'un rapide coup d'œil et un bonjour discret,
            comme d'habitude. Elle n'était, de toute façon, pas très ouverte ni très attentive ces temps-ci, et elle

            n'avait rien remarqué de particulier.
                           « Vous faites erreur je crois... » prononça t-elle pour lui signifier sa présence.

                           Klein se retourna vivement avec un large sourire.

                           « Pas du tout... pas du tout... C'est bien vous que j'attendais... Mademoiselle Tinot,
            c'est ça ? »

                           « Euh... oui... » répondit Edith, avec un peu de réticence. L'énergie, la volubilité du
            médecin redoublaient sa fatigue.

                           Il lui tendit une main qu'elle serra mollement  mais lui saisit sa main à elle avec
            fermeté et la conserva quelques secondes avant de la relâcher doucement, dans une presque caresse.

                           Il ferma la porte et la verrouilla.

                           Edith le remarqua et elle pensa que ce n'était pas normal, que quelque chose de
            louche se tramait, mais l'homme avait sur elle un effet lénifiant et anesthésiant.


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