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- « Je vous attendais… ».
              Elle faillit lui répondre « Je n’en doute pas… », tant cet aveu, naturel de sa part, traduisait un

              apaisement et un peu de reconnaissance, déjà. Mais elle préféra s’abstenir.
              Elle préféra entrer directement dans le vif du sujet :

              - « Hé bien… que vous arrive-t-il ? ».

              - « Ah… Je ne suis pas bien… pas bien du tout… Mais entrez, je vous en prie ».
              Ce qu’elle fit bien volontiers : elle se retrouvait enfin sur un terrain qui lui était familier et elle

              en oubliait déjà sa rencontre précédente.
              L’homme continuait :

              - « … Et je me sens très fatigué. J’ai des courbatures, des maux de tête - parfois des vertiges - je
              tousse, j’ai des frissons, et j’ai perdu l’appétit… vous croyez que c’est grave ? ».

              Non, elle ne le croyait pas. Mais elle avait suffisamment d’expérience  pour savoir qu’il était

              beaucoup trop tôt pour le lui dire : le malade aurait pu en conclure, au mieux, qu’elle ne prenait
              pas son mal au sérieux… au  pire, qu’elle estimait ne rien pouvoir faire pour lui, et qu’elle

              n’avait pas l’intention de perdre son temps avec un cas désespéré. Elle avait  appris depuis

              longtemps à ne pas commettre ce  genre  de bévue de débutant, très  préjudiciable  au bon
              déroulement de la thérapie. Elle lui répondit par une formule « toute faite », très professionnelle,

              où elle s’était entraînée à ne faire figurer ni inquiétude, ni insouciance :
              « Eh bien, nous allons voir ça… pourriez-vous vous asseoir sur le canapé ? ».

              Il s’exécuta avec une docilité emplie d’espérance.
              Elle posa sur la table basse sa trousse qui l’accompagnait dans toutes ses interventions et en

              extirpa le mystique stéthoscope, symbole et attribut fétiche du soignant.

              Toutefois, elle ne s’en servit pas tout de suite. Elle le pendit à son cou, et procéda à un examen
              préliminaire : elle lui inspecta les globes oculaires et l’intérieur des paupières en les abaissant

              avec son pouce, lui demanda d’ouvrir la bouche, de tirer la langue (qu’elle contraint avec une
              spatule prévue à cet effet).  La  gorge était évidemment un peu irritée  et présentait quelques

              signes d’inflammation. Elle lui dit qu’il « pouvait refermer », et se débarrassa de la spatule. Puis
              elle entreprit de lui palper les ganglions du cou, tout en conservant toujours une attitude très

              neutre et très sûre, censée montrer qu’elle maîtrisait la situation et qu’elle savait parfaitement à

              quoi elle avait affaire. Toutefois, il ne fallait pas laisser le silence risquer de devenir pesant et
              elle lui demanda pour la forme :

              -  « Vous  avez de la  fièvre ? »  (elle connaissait parfaitement la  réponse : le contact  avec

              l’épiderme et ses yeux légèrement larmoyants l’avaient déjà renseignée) ;

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