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Elle marcha avec détermination dans sa direction, jusqu’à se camper bien en face de lui en le
fixant d’un regard interrogateur.
Bien sûr, il resta de marbre et se contenta de répondre le plus naturellement du monde à sa
question non verbalisée :
- « J’ai à vous parler. Pouvons-nous aller à l’intérieur ? ».
- « J’ai bien peur que non ». Cette fois-ci, elle avait volontairement mis un peu de mordant dans
sa réponse. Elle n’avait pas pu s’en empêcher.
Il eût un rictus entendu, et enchaîna :
- « Peu importe. Ce que j’ai à vous dire risque fort de toute manière de ne pas vous plaire. Je
serais bref. Ce matin - aujourd’hui - vous êtes morte. Un banal et tragique accident de la
circulation : vous êtes endormie au volant et vous avez percuté un camion circulant en sens
inverse. La violence du choc - et un peu de malchance - ont fait que vous n’avez pas
survécu… ».
- « Et pourtant, je suis là, en face de vous… ».
- « En effet. C’est une petite anomalie que je vais devoir m’employer à corriger ».
- « Que voulez-vous dire ? ».
- « C’était avec moi que vous aviez rendez-vous. Mais vous ne pouviez évidemment pas le
savoir. D’ordinaire, cela n’a pas d’importance. Mais dans votre cas, cela ne s’est pas passé
comme cela aurait dû : par deux fois au moins vous avez refusé mon invitation, et ce avant
même que je n’aie eu le temps de vraiment la formuler. Or il se trouve que votre consentement –
même passif – était absolument requis pour que je pusse légitimement m’approprier… votre
âme. C’est la règle ».
La conversation prenait un tour vraiment bizarre. Mieux valait-il sans doute de ne pas chercher à
le contrarier : elle jugea plus opportun de « jouer le jeu », ce à quoi elle s’essaya :
- « Si je comprends bien - et en admettant que je sois morte – selon vous je ne mérite pas le
Paradis ?... ».
- « C’est cela. Je sais bien que vous n’êtes pas d’accord, que vous allez objecter que vous vous
« consacrez à votre prochain », que « vous êtes toute dévouée à les soulager de leurs
souffrances, à les soigner, et même - parfois - à les sauver ou à y contribuer »… Mais dois-je
vous rappeler que dans votre vie vous n’avez pas toujours été aussi… « vertueuse » ?
Bien sûr, vous considérez que votre nouvelle vocation va effacer vos fautes passées, vous
« laver de tous vos péchés »… Et c’est précisément là que naît le litige.
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