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et ses os. J’ai vaincu le virus. Et maintenant le cancer … Juste un an de répit, pour dire au

            revoir, classer les derniers affaires. Trop vite, beaucoup trop vite, pensa-t-elle. Elle n’avait
            plus que la peau sur les os. Son dernier  repas  solide remontait à trois  semaines  et,

            depuis, sa sœur et sa nièce tournaient autour de son lit médicalisé comme des abeilles,
            nuit et jour, ajustant sa perfusion, la lavant, la piquant. Il était déjà tard. Elle peinait à rester

            consciente plus que quelques minutes. Mais elle devait tenir. Quelques heures encore. Sa
            sœur s’approcha de son lit.

                   — Ils ont atterri. Ils seront là dans une heure.

                   Une heure,  une éternité…  Quelle différence ?  Le temps se plissait petit  à petit.
            Encore un peu de temps.

                   — Un heure Titifa, juste une heure, répéta sa sœur.
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                   Trois jours étaient passés depuis que son gendre et sa belle-fille avaient rejoint la
            maison. Le lendemain de leur arrivée, la sédation avait commencé sous le contrôle de la

            Doctoresse. Dans son lit, le corps de Latifa était maintenant dévasté.

                   — C’est la fin, annonça la sœur de Latifa, après avoir étendu le poignet et placer
            ses doigts à la base du pouce.

                   La respiration avait cessé quelque secondes auparavant. Mais le cœur se battait

            encore, vaillant, aiguillonné par le cerveau en mode panique. Le gendre sortit à reculons
            de la  chambre.  Désorienté,  sous  le choc,  il s’appuya contre le  mur du petit couloir qui

            menait au salon. Après un temps imprécis, il rejoignit le petit comité qui attendait, dans
            l’angoisse, la fin de Latifa. Notant enfin sa présence, la jeune femme brune l’interrogea du

            regard. L’homme, incapable de former un seul mot, le visage ravagé par le chagrin, éclata
            en sanglot.    Dans un mouvement liquide, le petit comité se leva d’un  seul  bond et se

            précipita dans la chambre de Latifa. Les cris et les pleurs percèrent l’espace et le temps.

            Le mille-feuilles s’ouvrit.
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                   Au 32, avenue du manoir, 4ème étage, porte gauche, Latifa lissa sa longue jupe
            une dernière fois. Sa sacoche était légère. Elle entra sans frapper.

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                   — Ainsi, vous avez fini par le suivre, Lui.

                   Habib se tenait devant la fenêtre, la cigarette à la main.

                   — Oui, mais je voulais vous rendre une dernière visite.
                   — A-t-il donné sa permission ? demanda Habib, acerbe.

                   — Vous êtes injustes envers vous-même, mon chéri.


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