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Derrière  elle, un homme aux tempes grises  se tenait debout, le regard voilé  de  larmes

            derrière des lunettes sévères.
                   — Maître ? Êtes-vous avec nous ? demanda-t-il dans son propre masque.

                   Latifa bougeait  ses lèvres, sans le moindre son.  La jeune  femme et l’homme
            échangèrent un regard puis la jeune femme colla son oreille aux lèvres de Latifa.

                   — Où… Où suis-je ?
                   —  Vous  êtes  au  Centre  Hospitalier Carthagène. Vous avez été  admise il y a un

            mois.  À  cause de  cette  saloperie  de  COVID, répondit  la jeune femme  en détachant

            chaque mot.
                   — Elle est désorientée… murmura l’homme. Après un mois de coma, on le serait à

            moins.
                   Latifa bougea encore les lèvres, ses yeux tournaient dans leurs orbites. La jeune

            femme rapprocha de nouveau son oreille.
                   — Habib…

                   Les yeux de Latifa fixaient désespérément la jeune femme, en quête de réponse et

            de sens. Derrière, l’homme éclata en sanglots.
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                   — J’avais peur de ne plus jamais vous revoir, mon gendre.

                   Latifa se leva  de son  siège médical en  s’aidant de sa canne.  Avec  ses cheveux
            courts, plus sel que poivre, elle accusait ses soixante-dix ans passés. Mais l’homme s’en

            fichait. Il la prit dans ses bras, en faisant attention de ne pas trop serrer. Il essuya ses
            yeux de quelques larmes naissantes.

                   — Vous êtes magnifique, Maître.
                   Elle sourit tristement, passa sa main dans sa chevelure.

                   — Oui, certes, cela me change. Mais bon, je m’y suis habituée, répondit-elle d’une

            voix qui avait récupéré une certaine jeunesse, nota l’homme.
                   Derrière lui,  une  jeune femme  brune  se tenait en retrait,  une  main barrant  sa

            bouche, des vallées de larmes parcourant ses joues. Latifa crispa les lèvres, tremblante
            d’émotion. Raffermissant ses  appuis sur  sa canne,  elle tendit  un  bras, un  sourire

            éblouissant son visage.
                   — Venez ma chérie. Comme je suis heureuse de vous revoir, Bent Habib .
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                   Sur son lit de mort, Latifa  attendait. Un mois auparavant,  le scanner l’avait
            condamnée. Des hordes de métastases enragées avaient envahi ses chairs, ses organes


            2  Fille de Habib, en Arabe.
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