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basse, le nouveau venu parut troublé, mais il se ressaisit très vite et

                  serra toutes les mains, tout sourire. « Carnassier », pensa Emma qui,

                  le plus aimablement du monde, lui proposa un apéritif. « Un whis-


                  ky, je veux bien, merci », il était redevenu l’homme de toutes les si-

                  tuations.

                                  Pour Emma, cet invité surprise était une catastrophe :

                  pour la première fois fois, on allait être treize à table. Elle espérait


                  être la seule à être superstitieuse et que personne d’autre ne verrait

                  un signe de mauvais augure. Quoi qu’il en soit, le dîner manqua

                  d’entrain. De quoi parler quand il est impossible de discuter de la

                  seule chose à laquelle tout le monde pense ? De son côté, le rédac-

                  teur en chef semblait regretter d’être là. « Superstitieux ? »,


                  s’interrogea Emma qui, décidément, ne l’aimait pas.

                                  Au dessert, Gabriel mit les pieds dans le plat.

                  S’adressant à son responsable, il lui dit : « Vous le voyez, ceci n’est

                  pas une réunion, encore moins des préparatifs de guerre et pourtant,


                  nous étions là pour parler de ce qui se passe à la rédaction…

                  Puisque vous vous êtes invité, vous pourriez peut-être nous dire

                  quelles sont vos intentions ? » Retour du sourire carnassier : « Je ne

                  voudrais pas gâcher une si belle soirée ».


                                  « C’est si grave que cela ? », la question venait de la

                  femme d’un des collaborateurs. Emma se dit qu’elle devait être in-

                  quiète, elle aussi, pour son mari. Le rédacteur en chef se leva et

                  s’adressant à la maîtresse de maison : « Excusez-moi, je me suis

                  trompé de soirée ; continuez sans moi. Puis se tournant vers les


                  autres convives : « Lundi, je veux voir tout le monde à neuf heures

                  dans mon bureau. Bonne nuit. » C’est avec un plaisir non dissimulé

                  qu’Emma l’avait raccompagné à la porte puis, discrètement, elle


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