Page 219 - tmp
P. 219
basse, le nouveau venu parut troublé, mais il se ressaisit très vite et
serra toutes les mains, tout sourire. « Carnassier », pensa Emma qui,
le plus aimablement du monde, lui proposa un apéritif. « Un whis-
ky, je veux bien, merci », il était redevenu l’homme de toutes les si-
tuations.
Pour Emma, cet invité surprise était une catastrophe :
pour la première fois fois, on allait être treize à table. Elle espérait
être la seule à être superstitieuse et que personne d’autre ne verrait
un signe de mauvais augure. Quoi qu’il en soit, le dîner manqua
d’entrain. De quoi parler quand il est impossible de discuter de la
seule chose à laquelle tout le monde pense ? De son côté, le rédac-
teur en chef semblait regretter d’être là. « Superstitieux ? »,
s’interrogea Emma qui, décidément, ne l’aimait pas.
Au dessert, Gabriel mit les pieds dans le plat.
S’adressant à son responsable, il lui dit : « Vous le voyez, ceci n’est
pas une réunion, encore moins des préparatifs de guerre et pourtant,
nous étions là pour parler de ce qui se passe à la rédaction…
Puisque vous vous êtes invité, vous pourriez peut-être nous dire
quelles sont vos intentions ? » Retour du sourire carnassier : « Je ne
voudrais pas gâcher une si belle soirée ».
« C’est si grave que cela ? », la question venait de la
femme d’un des collaborateurs. Emma se dit qu’elle devait être in-
quiète, elle aussi, pour son mari. Le rédacteur en chef se leva et
s’adressant à la maîtresse de maison : « Excusez-moi, je me suis
trompé de soirée ; continuez sans moi. Puis se tournant vers les
autres convives : « Lundi, je veux voir tout le monde à neuf heures
dans mon bureau. Bonne nuit. » C’est avec un plaisir non dissimulé
qu’Emma l’avait raccompagné à la porte puis, discrètement, elle
3