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moins à ce qui porte bonheur ! et ton vendredi 13 c’est parait -il aussi un jour de chance au
               jeu. Alors fais toi plaisir !

               Le tabac/presse était la seule enseigne éclairée de la rue baignée dans un brouillard humide.
               Le commerce avait gardé une odeur écœurante de tabac froid bien que personne n’y ait allumé

               une cigarette depuis plusieurs années. A la tablette des jeux de hasard, indifférente au

               bourdonnement du bavardage des clients, elle cocha méticuleusement chaque case du bulletin
               miracle. A la caisse la plantureuse patronne était d’humeur égale, voix revêche et autoritaire.

               Elle tendit son papier. « Eh ben ma p’tite dame, jouer un vendredi 12 c’est pas commun !
               faudra p’têt attendre le mois prochain pour palper le gros lot ! »

               Elle resta figée, bras tendu. Vendredi 12 ? qu’est-ce qu’elle raconte cette mégère ? Si hier on
               était jeudi 12, aujourd’hui on est bien vendredi 13 ? Mais hier était on bien jeudi 12 ? ou jeudi

               11 ? Elle avait bien noté jeudi 12 octobre sur tous les documents qu’elle avait signés hier.

               Donc…Mais alors avant-hier était le 11, or son rendez vous au Crédit de l’Ouest était le
               mercredi 10, çà elle en était sûre…Et voilà !... foutu télétravail qui faisait perdre tous les

               repères…Donc la mégère avait raison, on était bien le vendredi 12…

               « Et alors ? vous le jouez ou pas vot’ ticket ? »  Mais bien sûr, confirma-t-elle avec assurance.
               Vous savez, moi, vendredi 13 ou 12 ou 24, je m’en fiche complétement, le tout c’est de

               cocher les bons numéros n’est-ce pas ? Avec un haussement d’épaules la patronne enregistra
               son pari.

                Elle ressortit dans la rue grise. Une étrange sensation de liberté la gagnait peu à peu. Les
               paroles assurées qu’elle venait de proférer semblaient l’avoir convaincue. « Vous savez, moi,

               vendredi 13 ou 12 ou 24, je m’en fiche complètement ». Elle le répéta comme un mantra

               « Vous savez, moi … ». Mais oui !!! Toutes ces croyances irraisonnées dans le caractère
               surnaturel des phénomènes, quelle stupidité ! quel esclavage !

               Elle passa gaillardement sous l’échelle du colleur d’affiches, monta sans les compter les
               marches de l’immeuble, et décrocha le fer à cheval suspendu à sa porte. Rentrée dans

               l’appartement elle se brancha sur France Info. L’actualité déversait son lot d’accidents,
               d’agressions, de catastrophes naturelles. Tous les malheurs d’un vendredi 12 sourit-

               elle…Demain, samedi 13 octobre, météo radieuse sur toute la France annonça le journaliste,

               une journée d’automne exceptionnelle. Génial pour la balade prévue avec Marine et Camille !
               Tante Jeanne n’était pas au programme…

               Ce soir elle irait frapper à la porte de Yoko pour lui dire que le vendredi soir, 12, 13, 14 ou 30,

               était le meilleur soir de la semaine. Elle lui raconterait son escapade au tabac/presse, son
               erreur de date et le mantra qui avait ancré sa conviction que toutes ces superstitions étaient

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