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dans le domaine de l’océanologie, ce à quoi elle était formée, en plein Pacifique pour
une durée de deux ans, en Polynésie française, aux Samoa, aux îles Cook et à d’autres
endroits relativement proches dont les noms ne lui évoquaient rien mais sentaient bon
le dépaysement. Elle n’en croyait pas ses yeux : elle lisait et relisait la lettre en la
comprenant chaque fois identiquement. Sa formation en océanologie pouvait lui
permettre de s’expatrier à l’autre bout du monde si elle le souhaitait… Elle se jeta
mollement sur son lit pour davantage savourer l’instant, ferma les yeux, sourit
béatement et convoqua longuement toutes les images de cartes postales invitant à la
rêverie : les minuscules criques sauvages, les longues plages de sable blanc s’étirant à
l’infini, les atolls aux lagons opalescents, les cocotiers offrant généreusement et avec
bienveillance un peu d’ombre et de brise marine grâce à leurs palmes, la végétation
exotique exubérante découvrant des cascades vertigineuses et les canoës de haute mer.
Elle s’imaginait déjà sur un transat, en bikini et portant un chapeau de paille à larges
bords, écoutant inlassablement le flux et le reflux de la mer qui savait si bien
l’hypnotiser, savourant les caresses solaires sur sa peau hâlée et dégustant un délicieux
cocktail à base de lait de coco sous ce climat idéal… ou encore admirant le coucher de
soleil étreignant peu à peu les flots. La sonnerie de son GSM retentit et interrompit ses
doux rêves : c’était Marco. Elle lui apprit l’incroyable nouvelle. Il arriva chez elle dans
les dix minutes qui suivirent. Pour sûr, il ne s’agissait pas d’un canular, les documents
étaient de vrais papiers officiels et elle devait se décider vite car ce genre de mission
était fort couru. Mais qu’attendait-elle donc pour mettre du champagne au frais et fêter
cela? Comment cela, elle ne savait pas si elle allait accepter le poste à pourvoir? Mais,
c’était inespéré : lui, à sa place, tuerait père et mère pour pouvoir poser sa candidature.
Enfin, c’était une façon de parler comme dans le complexe d’Œdipe… Oui, elle
demeurerait loin de lui mais avec toutes les technologies, ils resteraient proches et puis
il lui rendrait visite. Elle réfléchit peu mais vite et bien. Après tout, elle n’avait pas
d’autre attache : pas de compagnon et ses parents étaient décédés dans un accident de
la route sept ans après avoir brisé le grand miroir du hall. Ils pleuraient tous les deux,
ne sachant si leurs larmes émanaient de leur joie commune ou du chagrin de savoir
qu’ils se quitteraient alors qu’ils étaient devenus inséparables depuis maintenant douze
ans.
Quatre mois plus tard, Isaura se trouvait à Porto, flanquée de Marco portant
une partie de ses bagages. Ils se montraient tous deux excités comme des puces. Après
des adieux quelque peu déchirants, elle embarqua à bord d’un gros Boeing 747,
sereine car la rangée treize brillait par son absence et son bungalow sur place ne
porterait pas le fameux nombre qu’il valait mieux ne pas prononcer! Oui, elle
l’appellerait sans faute dès l’atterrissage et elle lui enverrait des photos chaque jour et
il pourrait venir lui rendre visite aussi souvent qu’il le voudrait et que son portefeuille
l’y autoriserait… Marco suivit du regard le gigantesque oiseau blanc jusqu’à ce qu’il
ne subsiste plus de lui qu’une longue traînée de kérozène.
Les promesses mutuelles s’étaient concrétisées. La vie passait à une allure folle
dans cet Eden retrouvé : Isaura avait joint l’utile à l’agréable dès le début de son séjour
sur place. Elle aidait à protéger et cartographier l’espace maritime, avait joui des
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