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« balance-ton-porc » ? Ou bien ce rapport aux femmes faisait-il également partie de
               son art ?

               Les jambes molles et le rythme cardiaque emballé, elle toqua trois coups secs.
               Silence. Quelques mouches batifolaient dans l’air épais de cette fin d’été,

               indifférentes à la tension qui clouait Sonia sur place. Les insectes se posèrent.

               Silence au carré. Elle n’osait pas frapper de nouveau à la porte, se disant que ce
               type pouvait aussi bien être un psychopathe. Mais cette fameuse curiosité, épicée

               d’une pointe d’excitation, la tenait figée sur le palier. Alors que l’attente devenait
               réellement pesante et qu’elle amorçait un pas en arrière, la porte s’ouvrit lentement.

               Le vieil homme apparut, déguenillé mais entièrement vêtu cette fois-ci, les paupières
               basses et la mine lasse. Il la reconnut immédiatement :

                   -  Ah c’est encore vous. Vous avez changé d’avis et vous avez besoin d’argent ?

                      Trop tard, j’ai fait venir une de vos collègues. Elle est déjà repartie d’ailleurs.
                      Ça fait cher la minute quand même !

               Sonia bredouilla quelques mots incompréhensibles et le petit moustachu la

               dévisagea comme s’il la regardait se noyer, tout en sachant qu’il ne pourrait pas lui
               porter secours puisqu’il ne savait pas nager. Elle comprit que la porte allait lui claquer

               au nez et dit précipitamment, en haussant le ton plus qu’elle ne l’aurait voulu :
                   -  Excusez-moi, pardon ! Je veux dire… pour tout à l’heure.

               Il haussa un sourcil, étonné.
                   -  Bon ben ça va, on va pas en faire tout un plat non plus. Allez, bonne soirée.

                   -  Non, non, attendez, ce n’est pas ce que vous croyez !

               Tout en parlant, Sonia s’était avancée précipitamment. Elle trébucha sur le seuil et
               s’affala sur le David à la moumoute et au masque d’escrimeur. Elle s’accrocha à

               l’œuvre dans l’espoir de se rétablir, mais comme elle n’était pas fixée, elle se
               retrouva allongée sur la sculpture qui, en tombant au sol, perdit la tête et un bras.

               L’artiste fulminait et Sonia, le visage enfoui dans la perruque, hésitait entre le rire et
               la confusion. Lorsqu’elle se releva, il éructa :

                   -  Mais c’est une catastrophe ! Il n’aura plus jamais la même allure maintenant.

                      Et puis je dois le livrer dans deux jours. Je n’aurai jamais le temps de le
                      reprendre. Comment je vais faire ?

               Sonia se sentit soudain penaude.

                   -  Je suis désolée, vraiment. Je vous jure que je ne l’ai pas fait exprès.



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