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-  Vous savez que vous ne devez pas en abuser. Il ne faut pas que vous vous
                      accoutumiez.

               La vieille dame prit une mine implorante :
                   -  Oui mais là, j’ai vraiment trop mal.

               Après la piqûre, Sonia évoqua la scène baroque avec le voisin du dessous et Berthe

               rit de bon cœur malgré la douleur lancinante. Elle confia son mépris :
                   -  C’est un vieux vicieux. Les filles défilent chez lui. Il prétend qu’il s’agit de

                      modèles mais je sais bien qu’il ne fait venir que des prostituées qu’il va
                      chercher sur internet.

                   -  Des modèles ? Vous voulez dire qu’il est peintre ou sculpteur ?
               Berthe fit la moue :

                   -  Lui se qualifie d’artiste plasticien. Il a connu un vague succès il y a quelques

                      années. Assez en tout cas pour vivre de ses rentes maintenant. Enfin c’est ce
                      que m’a dit la femme de ménage. Il a essayé avec elle aussi vous savez. Mais

                      elle lui a mis un bon coup de genou, bien placé, et elle m’a dit que ça lui avait

                      bien remis le cerveau à l’endroit. Il n’a plus rien tenté après. Les hommes, je
                      vous jure, il faut sans cesse les remettre à leur place !

               La drogue commençait à produire son effet et les traits de Berthe se détendaient.
               Elle n’allait pas tarder à s’abandonner aux bras de Morphée. Sonia la laissa à ses

               rêves de suffragette en se disant que tout de même, ce drôle de voisin l’intriguait.


               Sonia était habitée d’une curiosité incontrôlable. On le lui avait souvent reproché,

               mais c’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle sache tout : depuis le contenu des colis
               livrés à ses voisins jusqu’aux secrets amoureux de ses collègues, en passant par le

               processus de fabrication d’objets du quotidien ou la vie des stars étalée dans les
               magazines. C’était sa façon à elle d’essayer de comprendre le monde, et comme

               l’étendue des connaissances à acquérir lui paraissait infinie, elle s’aventurait sans
               cesse dans de nouvelles découvertes. En l’occurrence, la description que Berthe lui

               avait faite du vieil homme et la vision qu’elle en avait gardée, où se mêlaient

               étrangement le ridicule et la perversité, l’avaient piquée. Se livrait-il en spectacle
               délibérément, par pure provocation ? Ou bien était-il à ce point prisonnier de son

               délire artistique qu’il avait décidé que sa vie serait une performance permanente ?

               Avait-on à faire à un macho déjanté, tout juste bon à intégrer la porcherie de



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