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du palier qui se trouvait en face de la sienne – avec méfiance. Ses yeux étaient si plissés qu’ils
               semblaient disparaître à leur tour sous les rides, ainsi que put s’en apercevoir Aurélie grâce à

               l’angle particulier sous lequel elle pouvait l’observer, les lunettes ne faisant plus barrière à sa
               vue.


               « Bien, bien ! s’exclama-t-elle soudain. Vous êtes là, c’est très bien. Ah, il était temps ! ».


               A en juger par sa voix, ce devait être une vieille dame. Aurélie n’en était pas entièrement
               convaincue, mais elle décida que ce serait le cas jusqu’à preuve du  contraire. Sans savoir

               exactement comment, elles étaient déjà sorties  du hall d’entrée  et se trouvaient désormais
               dans le salon. Elle crut  que sa mâchoire allait tomber, quand elle  contempla l’étendue de

               celui-ci : il devait bien faire au moins soixante mètres carrés, si ce n’est plus. Pourtant, de ce
               qu’elle connaissait du logement du dessus, et ne serait-ce qu’à regarder l’immeuble de dehors,

               elle n’aurait jamais pensé qu’un seul appartement puisse dépasser les quarante voire trente

               mètres carrés, et encore, c’était se montrer généreux. Plus que l’espace, ce qui la stupéfia était
               bien les tonnes d’objets de toutes sortes qui le jonchaient ; à croire que le bruit d’avalanche de

               livres et de bibliothèques qu’elle avait entendu auparavant n’avait pas été qu’une illusion de

               son esprit embrumé. Tout n’était que désordre, fourbi, couleurs criardes, motifs composites.
               Et même, rien n’était à sa place ; que faisait cette valise ouverte, remplie de terre et de plantes

               vertes, ainsi suspendue au plafond ? De même pour ce parapluie qu’elle distinguait, accroché
               à une espèce de ventilateur absolument pas sécurisé, le genre à vous couper la main si vous

               vous en approchez trop près. Des odeurs diverses agressaient ses narines par leur discordance,
               oscillant entre lavande, peinture, gasoil – que diable faisait du pétrole dans un appartement ? –

               poivre ; Aurélie crut qu’elle allait défaillir. Comment était-il possible de vivre dans un tel lieu

               toute la journée,  et surtout, de transformer une telle merveille d’appartement en un
               taudis pareil ? Les fenêtres étaient soit barricadées, soit inexistantes, et la pièce était éclairée

               par des  guirlandes diverses, des  lampes à  abat-jours,  des lampes torches savamment
               positionnées ; il lui sembla même apercevoir une ou deux lucioles voleter dans la pièce. A

               moins que cela ne soit son esprit qui lui joua des tours, profitant de la torpeur du matin de
               laquelle elle avait eu du mal à s’arracher…  Peut-être  même  était-elle toujours en train de

               dormir, après tout ?


                      L’esprit saturé par tant d’informations, elle se laissa tomber dans l’un des nombreux
               fauteuils qui bravaient l’océan d’affaires en vrac, s’asseyant au passage sur des objets douteux

               dont elle ne connaissait pas même le nom ou l’utilité. Sans y prêter plus d’attention – il lui
               aurait semblé dérisoire de s’en inquiéter au milieu d’un fatras pareil – elle se fit la réflexion,

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