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dans une honorable tentative de relativisme, qu’au moins cet appartement avait le mérite de
               n’être pas bruyant. L’ouïe était bien le seul de ses sens à ne pas être malmené, et elle espérait

               qu’il le reste.

               «  Bon  alors, ma p’tite,  ça va ?  Vous avez pas l’air très bien, ‘savez. C’est pas pour vous

               déranger mais ça fait longtemps qu’j’vous attends moi, tenez depuis trois heures du matin

               cette nuit je… ».

               Elle ne s’arrêtait plus de parler, c’était un véritable flot de paroles inintelligibles, prononcées

               de plus en plus rapidement. Elle semblait en outre prendre un soin tout particulier à mâcher
               consciencieusement chaque mot. Soudain, un bruit d’horloge se fit entendre, bien qu’Aurélie

               ne pût distinguer où celle-ci se trouvait.


               « Tenez ! c’est ce que je vous avais dit, il est déjà sept heures. C’est  pas très correct, ça,
               mamzelle. M’enfin, ça ira.

                   -  Excusez-moi, l’interrompit alors la jeune femme. Je crois qu’il  y a  erreur sur la
                      personne, je me suis trompée de palier en montant, et…

                   -  Non, non, pas du tout. C’est parfait. Venez avec moi, voulez-vous ?


               Elle n’avait pas même attendu la réponse d’Aurélie pour se lever quand celle-ci insista :

                   -  Vraiment, je suis désolée, mais je ne suis pas celle que vous attendiez.  Je suis

                      médecin, on m’a appelée en urgence cette nuit et je dois absolument monter à l’étage
                      du dessus. Si vous  avez  aussi besoin de soins  médicaux, je peux  vous  aider,  vous

                      n’avez qu’à prendre rendez-vous, ou je peux aussi vous voir tout à l’heure si c’est une
                      urgence,  mais laissez-moi simplement un moment afin d’aller voir M. Richard là-

                      haut…

                   -  Vous inquiétez pas pour ce vieux bigleux ! Ca va aller pour lui. Il en a connu des pires,
                      vous savez, c’est pas une crise cardiaque de plus ou de moins qui en viendra à bout…


               Le haussement des sourcils et le bref soupir agacé qui accompagnaient cette dernière phrase
               auraient presque pu être pris pour un regret, de l’aigreur.


                   -  Comment ça, une crise cardiaque ?  repris Aurélie, décontenancée. On  m’a appelée

                      parce qu’il avait des vertiges…
                   -  Il me semble bien que c’est une crise cardiaque, cette fois, répéta la vieille dame en

                      détournant nonchalamment les yeux vers le plafond.




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