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9h de vol, la boule au ventre. Un seul ovule qui éclate et c’est l’overdose assurée, la
               mort immédiate. Mais cela n’arrive jamais. Elle en connait des mules, elles sont

               toutes revenues riches et auréolées de respect dans le quartier. Arrivée à Paris au
               petit matin, Esther passe les douanes avec une facilité déconcertante, malgré

               l’anxiété qui l’habite. Son ventre, aussi gros que celui d’une femme enceinte de 6

               mois, a peut-être joué en sa faveur. Elle ne se rappelait pas avoir ressenti pareil
               tiraillement au ventre, même pendant sa grossesse. Son téléphone vibre, la voici

               connectée au réseau français. Bouygues Télécom vous remercie. C’est un vieux
               rêve qu’elle touche du bout des doigts : découvrir Paris, déambuler dans les rues,

               flâner dans les parcs, boire un café « avec une noisette de lait » en terrasse, visiter le
               Louvre… Peut-être qu’elle pourra s’accorder un peu de temps avant de repartir ?

               Avec ses 1500€, elle pourrait même s’acheter une jolie robe et ramener quelques

               souvenirs à Léo. Mais, pour le moment, c’est un tout autre programme qui l’attend.
               Prochaine étape : rejoindre l’adresse indiquée sur le sms qu’elle vient de recevoir

               d’un numéro inconnu et gérer l’expulsion des capsules. D’ici là, surtout ne rien boire

               et ne rien manger. Perdue au milieu de la foule pressée, incapable de déchiffrer les
               plans du métro, Esther décide de prendre un taxi. Après tout, elle a un peu d’argent,

               autant qu’il lui serve à mener à bien sa mission et à abréger au plus vite ses
               souffrances. Très vite, elle quitte la capitale. Au fur et à mesure des kilomètres

               qu’elle parcourt, elle voit défiler devant elle un enchaînement de barres d’immeubles,
               un paysage bien différent des petites ruelles pavées et fleuries qu’on nous montre

               dans les guides touristiques. Le taxi s’arrête sur une petite place où de nombreux

               jeunes sont attroupés, au pied d’un immeuble d’au moins 10 étages sans balcon et à
               la façade décrépie. Esther se dirige rapidement dans la cage d’escalier, afin de ne

               pas attirer l’attention sur elle tant elle se sent mal à l’aise dans cette ambiance qu’elle
               ne connait pas. L’appartement du 4è étage, porte gauche, est sommaire… Cette fois-

               ci, elle a bien vérifié, elle est au bon endroit… Personne n’est là pour l’accueillir. Sur
               la table du salon, une boîte de laxatifs, avec un petit mot « Nous passerons tous les

               soirs relever la marchandise ». La solitude s’abat sur elle, avec une pointe de

               remords. Léo lui manque, elle l’a laissé seul avec sa mère sans la moindre
               explication. Au fond, elle sait ce qu’il lui reste à accomplir et ce manque de

               compagnie tombe à point nommé. L’estomac en feu, à coups de Dulcolax, elle peut

               enfin commencer la délivrance, aussi douloureuse soit-elle. Les journées s’écoulent
               doucement, ponctuées d’allers-retours aux toilettes et surtout de visites d’un homme

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