Page 54 - affiche-plume-2020.indd
P. 54
9h de vol, la boule au ventre. Un seul ovule qui éclate et c’est l’overdose assurée, la
mort immédiate. Mais cela n’arrive jamais. Elle en connait des mules, elles sont
toutes revenues riches et auréolées de respect dans le quartier. Arrivée à Paris au
petit matin, Esther passe les douanes avec une facilité déconcertante, malgré
l’anxiété qui l’habite. Son ventre, aussi gros que celui d’une femme enceinte de 6
mois, a peut-être joué en sa faveur. Elle ne se rappelait pas avoir ressenti pareil
tiraillement au ventre, même pendant sa grossesse. Son téléphone vibre, la voici
connectée au réseau français. Bouygues Télécom vous remercie. C’est un vieux
rêve qu’elle touche du bout des doigts : découvrir Paris, déambuler dans les rues,
flâner dans les parcs, boire un café « avec une noisette de lait » en terrasse, visiter le
Louvre… Peut-être qu’elle pourra s’accorder un peu de temps avant de repartir ?
Avec ses 1500€, elle pourrait même s’acheter une jolie robe et ramener quelques
souvenirs à Léo. Mais, pour le moment, c’est un tout autre programme qui l’attend.
Prochaine étape : rejoindre l’adresse indiquée sur le sms qu’elle vient de recevoir
d’un numéro inconnu et gérer l’expulsion des capsules. D’ici là, surtout ne rien boire
et ne rien manger. Perdue au milieu de la foule pressée, incapable de déchiffrer les
plans du métro, Esther décide de prendre un taxi. Après tout, elle a un peu d’argent,
autant qu’il lui serve à mener à bien sa mission et à abréger au plus vite ses
souffrances. Très vite, elle quitte la capitale. Au fur et à mesure des kilomètres
qu’elle parcourt, elle voit défiler devant elle un enchaînement de barres d’immeubles,
un paysage bien différent des petites ruelles pavées et fleuries qu’on nous montre
dans les guides touristiques. Le taxi s’arrête sur une petite place où de nombreux
jeunes sont attroupés, au pied d’un immeuble d’au moins 10 étages sans balcon et à
la façade décrépie. Esther se dirige rapidement dans la cage d’escalier, afin de ne
pas attirer l’attention sur elle tant elle se sent mal à l’aise dans cette ambiance qu’elle
ne connait pas. L’appartement du 4è étage, porte gauche, est sommaire… Cette fois-
ci, elle a bien vérifié, elle est au bon endroit… Personne n’est là pour l’accueillir. Sur
la table du salon, une boîte de laxatifs, avec un petit mot « Nous passerons tous les
soirs relever la marchandise ». La solitude s’abat sur elle, avec une pointe de
remords. Léo lui manque, elle l’a laissé seul avec sa mère sans la moindre
explication. Au fond, elle sait ce qu’il lui reste à accomplir et ce manque de
compagnie tombe à point nommé. L’estomac en feu, à coups de Dulcolax, elle peut
enfin commencer la délivrance, aussi douloureuse soit-elle. Les journées s’écoulent
doucement, ponctuées d’allers-retours aux toilettes et surtout de visites d’un homme
3