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N° 38 Vice et vers ça
Mardi 15 février, 8h
Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32,
avenue du Manoir, 5è étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit
d’insomnie, elle s’arrêta au 4è étage et frappa à la porte de gauche. A peine s’était-
elle aperçue de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je
vous attendais ». Il faisait chaud, l’atmosphère était humide, comme tous les matins
à Cayenne. Esther avait les mains moites, mélange de transpiration et de stress. Une
odeur particulière s’échappait de cet appartement, comme s’il avait été entièrement
passé à l’eau de javel. Son instinct lui disait de faire demi-tour, mais sa curiosité
prenait le dessus. Elle avançait dans le couloir de cet appartement sombre, à la
décoration rococo. Le plancher craquait sous ses pieds. Face à l’entrée, sur un
guéridon recouvert d’une nappe aux couleurs chatoyantes, une statuette de la vierge
Marie accueille les visiteurs, bras ouverts. A ses pieds, trois bougies posées sur des
petits napperons blancs illuminent une citation de l’évangile de Saint Mathieu : “Celui
qui voudra sauver sa vie la perdra ; et celui qui perdra sa vie pour l'amour de moi la
retrouvera”. Un frisson lui parcouru le dos. Dans le salon, une énorme horloge
surplombait une commode en bois sculptée. Elle passa son doigt sur la commode en
ébène et constata une énorme couche de poussière. Il régnait dans cet appartement
un désordre organisé, un lieu de passage plus qu’un lieu de vie. Enfoncé dans un
fauteuil en velours vert aux accoudoirs usés, un homme obèse, difforme, l’attendait. Il
semblait avoir des difficultés à se mouvoir. Des cheveux bruns, lisses, soyeux ? non,
gras… venaient cacher une partie de son visage et laissaient entrevoir une cicatrice
épaisse et complexe qui déformait ses lèvres. Cette plaie procurait à son sourire un
air narquois, sinistre, diabolique… un faux air de Keyser Söze. Esther, habituée de
trouver toutes sortes de patients lors de ses visites à domicile, n’était pas
impressionnée. Au contraire, armée de sa bienveillance, elle demanda si elle pouvait
l’aider.
- « Bonjour, je suis infirmière. Avez-vous besoin d’aide ?
- Que vous soyiez infirmière ou pas, j’m’en balance. Et oui, j’ai besoin d’aide.
Vous êtes en retard. Vous deviez venir à 7h30.
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