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— Ne fais pas ça, pauvre idiote ! tonna l’homme. Mais qui crois-tu donc être pour
me traiter ainsi ? Et de quel droit t’es tu permis de te mettre en travers de ma route ? Tous
ces jours que je patiente à cause de toi ! Toutes ces nuits à attendre ! Tu m'as fait perdre
un temps précieux… Des heures qu’il te faudra me rendre quand sonnera la tienne…
Interdite, Léa tremblait de tous ses membres. Dans son agitation, l’homme avait fait glisser
son drap et dévoilé la faux qu’il maintenait cachée le long de son corps efflanqué.
L’Ankou* ! Elle conversait avec l’Ankou ! Et soudain, elle fut prise d’un mauvais
pressentiment. Le service ! Le service qu’il attendait ! C’était donc, ça !
— Ernestine ! hurla-t-elle en se précipitant vers l’escalier, poursuivie par le rire
sarcastique de l’homme.
Elle grimpa les marches quatre à quatre. Ouvrit la porte de l’appartement. Courut jusqu’au
fond du couloir et, pantelante, s’immobilisa sur le seuil de la chambre : les mains tendues
vers la bouteille d’oxygène dont le manomètre était descendu à zéro, Ernestine
suffoquait :
— Enfin, je vous attendais ! réussit-elle à ânonner dans un souffle si ténu que Léa
en eut les larmes aux yeux.
— Je suis là, Ernestine, je suis là, la rassura la jeune femme. Ça va aller,
maintenant ! Ça va aller ! poursuivit-elle en s’efforçant de reprendre sa respiration.
Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas couru aussi vite. Mais Ernestine était sauvée !
Haletante, elle venait de brancher une nouvelle bouteille d’oxygène quand soudain, une
douleur fulgurante transperça sa poitrine. Les yeux exorbités, elle sentit son cœur se
serrer très fort comme pour tenter de retenir son âme, tandis qu’à son oreille, résonnait le
sinistre grincement d’une charrette qui s’approchait.
*L’Ankou : figure des légendes bretonnes, serviteur de la mort, chargé de ramasser les
âmes.
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