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Car il s’agissait bien d’un homme. Cette fois, elle en était certaine. Ce rire catarrheux
n’était pas celui d’une femme.
— J’ai rendez-vous avec la locataire qui habite juste au-dessus de chez vous,
reprit-elle pour se donner une contenance. Peut-être la connaissez-vous ?
— Si je la connais ? Mais je ne connais qu’elle, ma chère enfant ! Je ne connais
qu’elle ! D’ailleurs, cela fait des heures que je l’attends ! Des heures, que dis-je ? Ça fait
des semaines ! se récria l'homme sur un ton où perçait un vif agacement. Elle et moi, c'est
une histoire qui dure depuis des lustres. Mais cette vieille bique se fait attendre...
Vieille bique ? Voilà une curieuse façon de parler d'une amie, se dit Léa. Sans compter
que cette définition ne cadrait pas avec l’image de la vieille femme à laquelle elle s’était
attachée dès leur première rencontre.
— Et vous ne vous êtes pas téléphonés pour échanger de vos nouvelles ? s'enquit-
elle, tout en pensant qu’Ernestine avait bien eu raison de ne pas se soucier d'un tel ami.
— Téléphoné ? Mais où voyez-vous un téléphone, ici, ma jeune enfant ?
Ses yeux s'étant peu à peu habitués à l’obscurité, Léa fit le tour de la pièce : d’un côté,
une chaise nue adossée au mur, de l’autre, une table de chevet au plateau entièrement
vide, et au milieu, le lit dans lequel l'homme se tenait assis, enveloppé dans une sorte de
robe de chambre à ample capuche. Ni armoire, ni miroir. Pas un seul cadre au mur. Tout
comme le long corridor qu’elle avait traversé, la pièce était des plus austères. Et
impersonnelle au possible. Pire qu’une chambre d’hôpital ! ne put-elle s’empêcher de
penser. L’odeur en moins. Et vu le peu d’épaisseur du corps dont elle pouvait à peine
deviner la forme sous le drap blanc, l’homme ne devait pas souvent quitter son lit.
D’ailleurs, son œil de professionnelle repéra très vite l’absence de fauteuil roulant ou autre
déambulateur. L’homme avait de quoi être aigri !
D’un naturel empathique, elle se radoucit :
— Il ne faut pas en vouloir à votre voisine. Elle a été très malade, vous savez ? Cet
hiver, elle n’avait plus aucune force et elle tombait à chaque instant. Je suis venue je ne
sais combien de fois pour lui faire des pansements. Mais vous la connaissez, elle ne
voulait pas inquiéter ses enfants. Il a fallu qu’elle se blesse plus sérieusement pour
qu’enfin elle se décide à prendre les choses au sérieux et accepte de faire des analyses.
Elle était complètement anémiée. Et pour couronner le tout, elle fait de l’emphysème
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