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Elle se leva et fixa les persiennes aux arrêts ancrés à la façade de l’immeuble. Les
quatre coups de 16h00 sonnèrent aux deux clochers de l’église qui dominait les
toitures de zinc du quartier. Elle se retourna et vit dans la pièce désormais éclairée
une chose qui ressemblait à un être humain tout de noir vêtu installé dans un fauteuil
roulant. Il portait des lunettes noires qui occultaient ses yeux. Le bras droit sans main
était manifestement tordu dans une position qui trahissait l’absence de mobilité du
coude fermé de telle sorte que ce qui restait de l’avant -bras se tenait en
permanence proche de l’épaule. Ses vêtements ne permettaient pas de savoir s’il
disposait de ses deux jambes. Le plus horrible était sa bouche sans lèvres ouverte
sur une mâchoire supérieure dont les quelques dents restantes penchaient tantôt
vers l’extérieur tantôt vers le palais le tout formant une grimace mimant un cri de
douleur inaudible ou un appel au secours sans tonalité. L’explication de la voix – de
profondis clamavi – l’atteignit en pleine figure.
- Oh mon Dieu, murmura-t-elle
- Laissez Dieu hors de cette affaire ! Il est trop tard pour l’implorer. Le diable a gagné
la partie qui nous occupe.
- Soyez certain que je suis compatissante pour ce qui vous est arrivé. Vous voudrez
bien m’excuser mais il est important que je retourne soigner mes malades, vous le
comprendrez.
- L’imploration et la compassion vous n’avez que cela à la bouche. Vous ne vous en
sortirez pas avec de bons sentiments.
- Je ne comprends pas. Je ne suis pour rien dans votre état.
- Reprenez votre place dans ce fauteuil et vous comprendrez qu’il est important pour
moi que vous écoutiez notre histoire commune.
Contrariée, elle retrouva le fauteuil face à l’homme qui manipulait le miroir de sa vie.
Elle se demanda quelle pouvait être cette tranche de vie qu’elle aurait pu partager
avec cette…avec cet infirme qui n’avait jamais compté dans ses patients depuis
treize ans qu’elle exerçait le métier d’infirmière. Ou alors était-ce avant ?
Jeanne, nous nous connaissons Jeanne notre adolescence. A l’époque je ne
ressemblais pas à un épouvantail, je vous rassure.
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