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N° 17                                Le destin de Jeanne Duvail

               Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32,

               avenue du Manoir, 5e étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit

               d’insomnie, elle s’arrêta au 4e étage et frappa à la porte de gauche. À peine s’était-
               elle aperçue de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du fond : ‘‘Enfin ! Je

               vous attendais’’ ».

               Devant elle s’ouvrait un long couloir obscur dont on ne devinait pas la fin.


            -  Entrez, je vous en prie et n’oubliez pas de refermer la porte


               La voix au timbre sépulcral venait du fond du couloir. Peu rassurée, elle s’avança
               lentement, la main gauche crispée sur la poignée de sa mallette. Son métier et de

               nombreuses années de pratique l’avaient néanmoins formée à affronter ce type de
               situation. Elle était sur ses gardes sans que la peur l’inhibe.


               Le gémissement des lattes du plancher ciré sous ses chaussures aux semelles de

               crêpe lui indiqua que l’appartement était resté en l’état du jour de la construction de
               l’immeuble qui datait d’avant la guerre.


               En dépit de l’obscurité ambiante elle remarqua que les murs du couloir étaient
               habillés de nombreuses gravures qui lui parurent être des photos en noir et blanc

               sans qu’elle pût en distinguer les détails.

               Arrivée au bout du couloir, une vaste pièce franchement dépourvue de lumière

               s’ouvrit devant elle. Il lui revint en mémoire sans qu’elle puisse se l’expliquer, les vers

               de Victor Hugo étudiés au collège de la rue des Vinaigriers :

               « Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,

               Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
               …..

               Puis il descendit seul sous cette voûte sombre ;

               Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
               Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,

               L'œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

            -  Vous voilà enfin, grinça cette voix d’outre-tombe.





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