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N° 28                       Appel à l'aide.



               Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
               manoir, 5ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle

               s'arrêta au 4ème étage,  et frappa porte  gauche.  A peine  s'était-elle aperçue de son erreur,

               qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ».

               Surprise par  cette invitation imprévue, elle décida d'entrer sans davantage de protocole.

               L'appartement ne ressemblait à rien, sens dessus dessous, à rien de comparable  avec la

               propreté manifestée par sa patiente du cinquième étage. Le parquet désossé craquait comme
               un lit ancien et le vasistas qui éclairait le couloir fumait de poussière. La saleté semblait venir

               d'un abandon total des soins d'hygiène, sans doute causée par la négligence du propriétaire, de
               cette voix qui l'avait invitée.


               Dans cette semi obscurité, elle ne voyait personne et plus elle avançait, plus la voix nasillarde

               paraissait venue d'outre tombe. L'inquiétude commençait à la gagner, dans la mesure où plus
               aucun signe de présence humaine ne se faisait sentir, alors qu'elle détaillait de long en large,

               en auscultatrice professionnelle, le périmètre habité. Avait elle rêvé, usée par sa nuit sans
               sommeil, en proie  possible à des hallucinations auditives ?


               La vie d'un médecin généraliste en banlieue n'est pas reposante. Sans cesse appelée pour des

               pathologies souvent hors champ de la médecine habituelle, pour des troubles psychiatriques

               qu'elle ne maîtrisait pas, elle se sentait épuisée, vidée, devant l'immensité de sa tâche quasi
               sacerdotale. Entrée en religion par esprit militant, juste auprès ses années d'internat, elle avait

               choisi de s'installer dans un faubourg pauvre pour combattre et le mal et ses origines sociales.
               Pour elle, sa racine se terrait dans le terreau fertile de la pauvreté. Il n'y avait aucun doute !


               Elle avait fait ce choix difficile après diverses lectures idéologiques à la facture  célèbre,

               comme celle de Marx. Plusieurs années après, cette médecin " en campagne " poursuivait son
               activité avec de plus en plus de maux, tant financiers ( à cause d'une profusion d'impayés )

               que sécuritaires ( devoir travailler dans cet environnement où le banditisme, lié aux trafics de

               drogue proliférait, finissant  par créer  un climat de violence quotidienne qui se répercutait
               jusque dans son cabinet.)


               Et c'était pire lorsqu'elle devait, comme aujourd'hui, se ruer vers des patients isolés dans les
               innombrables grandes tours du quartier désolé et gangréné par la délinquance. Elle ne lâchait



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