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malades à eux mêmes, à cause du fameux serment et de son âme de militante. Pas question de
lâcher, il fallait faire face contre vents et marées et c'est ce qu' elle faisait depuis plus de vingt
ans sans prendre de repos.
" Le repos du guerrier attendra la fin de la guerre " se disait elle. Aujourd'hui, elle commençait
à se demander si cette guerre aurait une fin, si elle existait vraiment, si elle n'était pas plutôt
celle du soldat "du désert des Tartares", devant un vide existentiel qui la dépassait et qui était
en train de la rendre folle...
Son portable sonna, un numéro inconnu s'afficha. Elle ne décrocha pas, devant traiter un jeune
garçon enrhumé devant la maman inquiète, la belle routine de son quotidien. Elle ne vérifia
pas si cet appelant avait laissé un message, bien trop occupée ensuite à gérer un cardiaque
obèse, une femme âgée qui souffrait surtout de solitude depuis la perte de son mari, un second
marmot qui toussait lui aussi, un adulte alcoolique qui nait cette réalité, une jeune fille
inquiète de ne pas avoir eu ses règles, une histoire de violence familiale...
Elle ne put pas tirer le rideau avant vingt heures trente passée, comme toujours abreuvée de
discours fleuves sur le mal être du quotidien qu'elle écoutait toujours stoïquement.
Après avoir nourri son matou et compagnon de galère, cette célibataire endurcie, qui avait fait
le choix du mécénat social en négligeant avec un certain paradoxe toute vie amoureuse et
sociale car trop occupée à agir sur le front de la pauvreté, se mit à table pour avaler des restes
de la veille. Elle jeta un œil sur un journal déplié devant elle qui parlait des affaires courantes,
puis pensa subitement à regarder son téléphone : elle avait un message, qui venait de la même
source, de cet appel anonyme d'avant ses consultations :
" Je vous attend toujours ce soir. Vous m'avez négligé tout à l'heure, rattrapez vous avant qu'il
ne soit trop tard, vous savez où me trouver " La voix restait nasillarde, comme venue du
tréfonds d'un puits. Elle n'avait pas rêvé, il existait bien quelqu'un qui cherchait à la voir et qui
l'appelait au secours.
Trop épuisée pour ressortir, elle monta se coucher après une dernière caresse à son chat
préféré.
" On verra demain " se dit elle.
Elle plongea dans un sommeil artificiel mais réparateur qu'elle se fabriquait elle même, à coup
d'auto traitement. Elle fut tirée de son sommeil dés l'aube; on frappait à sa porte. Elle prit juste
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