Page 231 - tmp
P. 231

N° 42                                La sentinelle






               Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée.

               « Ah ! Au fait, quel jour sommes-nous ? » se dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! »
               Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises.




               Enfin, ce qui lui brûlait les lèvres était plutôt : Bloody fucking friday ! Pendant toutes ces
               années, elle était rentrée dans le moule, avait apprivoisé sa colère. Ce Zut était définitivement

               trop politiquement correct. Prendre un avion pour Paris un vendredi 13 ne pouvait être qu'une
               idée de son frère Liam. Il ne ratait jamais les matches du tournoi des six nations, celui qui

               s'annonçait dans cet impressionnant Stade de France était incontournable. A peine mis en

               vente, les billets s'étaient arrachés en quelques heures. Le Graal pour Liam, il avait eu de la
               chance sur ce coup-là...

               Tu viens avec moi, il avait dit.
               J'avais répondu oui, malgré tout, histoire de voir un peu de pays, d'oublier la mélancolie de

               nos collines, du barbelé au bout du champ. L'odeur du fumier devant la grange, l'eau

               maronnasse qui se faufilait dans la rigole finissaient par me donner la nausée. Depuis ce foutu
               vendredi ma vision du monde était devenue étriquée.

               Liam avait fait ce qu'il avait pu.
               Moi aussi.

                                                         *****



               La radio égrène le chapelet habituel des poncifs à propos des vendredis maudits, cela

               déclenche chez moi une réaction épidermique. Je change de station pour écouter un peu de
               musique.

               Je n'ai jamais été très doué pour faire du café et comme j'ai conscience que les putains de
               capsules qui pourraient me faciliter la vie salopent la planète, je ne peux abandonner ma

               cuillère crasse. Difficile de déboulonner ses habitudes, l'arabica me donne pourtant des

               palpitations. Mon application à faire la différence entre dosette rase et bombée est incertaine.
               J'ai toujours eu tendance à surdoser.

               Il faut que j'affûte mes sens comme un chasseur avant l'embuscade. Le grand mug de café fait
               partie de la préparation.




                                                            1
   226   227   228   229   230   231   232   233   234   235   236