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remise en liberté conditionnelle pouvait être de mise, pour bonne conduite. La maman, jusqu'ici
privée de ses droits de femme, avait alors été convoquée dans le bureau du directeur.
Le fameux macho.
À l'instant où elle avait refermé la porte derrière elle, Victorine avait senti un malaise
insidieux se nouer dans ses entrailles.
Il était craint par toutes les détenues. Bourru, graisseux, n'ayant jamais propulsé son nez à
l'extérieur.
Elle allait s'asseoir lorsqu'il avait brandi un bout de papier rectangulaire.
– Votre billet de train pour demain midi. Destination Laval, avait-il décrit dans une octave
grave, tel un robot.
La future éprise de liberté n'avait pas bougé d'un cil quand il en avait rajouté une couche :
– Ce n'est pas gratuit. Il faut le gagner. On ne la fait pas à moi.
Il avait posé à plat le billet sur le secrétaire, s'était levé en faisant racler les pattes de son
fauteuil sur le ciment, contourné le bureau, tout ça sans cesser de dévisager Victorine.
Elle ne bougeait toujours pas, comme une statue de sel. Tout de même, une peur la saisissait
à la gorge. La preuve du lendemain, d'un scénario menant vers des jours meilleurs, se présentait à
quelques mètres de ses doigts.
Un acte salutaire.
Un doigt non consenti avait alors parcouru l'épaule, dégringolé le long de la glycine charnue,
atterri au poignet...
Ces derniers jours, marqués au sang.
Victorine se rappela une scène du film de Haneke : l'un des premiers plans-séquence
dévoilait un jeu de masques, un train focalisé sur une seule lunette. Un jeune homme marqué par la
solitude et le manque de convictions, taciturne, jetant un papier à une mendiante faisant l'aumône,
puis immédiatement interpellé au simple geste déplacé conduisant à un trouble de l'ordre public, où
chacun chacune campe sur ses positions.
Code civil, code de la route, lequel pouvait bâtir un rempart d'entente cordiale ?
La voyant en phase de détresse, ses copines de cellule avaient réagi.
Au troisième avant-jour, le directeur était avachi sur un canapé, derrière le secrétaire. Avec
une mimique narcissique, il tapotait du plat de la main le couffin libre. Victoire s'était
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