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la porte… Elle avait pourtant eu l’air d’y voir très clair. Ce pouvait être une deuxième paire,
qui sait. Mais non ; à repasser la scène dans sa tête, Aurélie était forcée de constater qu’elle ne
les portait plus, lorsqu’elle l’avait mise dehors, sans quoi elle n’aurait pas pu distinguer son
clin d’œil.
Mais qui était cette dame, de toute façon ? Elle ne connaissait même pas son nom.
Relevant les yeux pour lire l’écriteau affiché sur la porte, quelle ne fut pas sa surprise – son
énième surprise – quand elle se trouva nez-à-nez avec un mur blanc en crépi. Nulle trace de
porte. Nulle trace de quoi que ce soit qui ait pu ressembler un jour à une porte. Ecarquillant
les yeux, elle posa la main sur le mur : rien. Ah si ; dans un coin en bas, ce qui semblait être
un gribouillage d’enfant ; un chat et une sorcière, au pastel. Mais cela, elle ne le vit pas.
Abasourdie, elle resta encore quelques minutes sur le palier, à fixer le mur et à tâter
encore et encore les lunettes dans sa main, comme pour vérifier qu’elle n’avait pas rêvé.
S’arrachant doucement à son état de transe, elle se dirigea dans l’escalier comme une
automate, et monta voir M. Richard, sans penser à rien d’autre qu’à ce qu’elle venait de vivre,
et à comment elle pourrait retrouver la vieille dame. Elle apprit que son patient avait en effet
été victime d’une crise cardiaque suite à des vertiges de plus en plus forts, qu’il avait été
emmené à l’hôpital en urgence, qu’une ambulance avait été dépêchée, et que cela faisait
maintenant deux heures. Deux heures… Et comment n’avait-elle pu ne pas entendre le bruit ?
Il avait dû falloir des brancardiers, du monde, cela impliquait des voisins sur le palier, attirés
par l’évènement, sans compter les gyrophares de l’ambulance…
Elle rentra chez elle comme elle était montée dans les escaliers ce matin-là, par
automatisme, sous le choc. Elle faillit mourir dix fois sous les roues des voitures dans la rue,
ou bousculée par des cyclistes vraisemblablement pressés de rejoindre leur lieu de travail.
Mais elle continuait, imperturbable, comme si de rien, sous les klaxons des automobilistes
furieux, sous les cris des passants. Tout ce à quoi elle pensait, c’était au délire qui venait de
lui arriver, et au fait de mettre un pas devant l’autre. Elle fit annuler tous ses rendez-vous de la
journée et rentra se coucher.
Quand elle se réveilla, les lunettes posées sur sa table de nuit avaient disparu.
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