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N° 42 Pause insolite
Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
manoir, 5 ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d’insomnie, elle
s’arrêta au 4 ème étage, et frappa porte gauche.
A peine s’était-elle aperçue de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du
fond : « Enfin ! Je vous attendais ». Cette voix masculine qui venait du bout de l’appartement,
cette voix affirmée, grave et surprenante, piqua sa curiosité et elle décida d’entrer. Elle
arriverait en retard au 5 ème mais tant pis.
— Avancez-vous, j’ai les mains dans la pâte, je vais en mettre partout ! Je suis dans la cuisine,
au bout du couloir, à gauche !
De plus en plus intriguée, sa mallette de médecin à la main, elle parcourut le long couloir
rendu étroit tant il était encombré de chaque côté par un fatras hétéroclite : une véritable
caverne d’Ali Baba. L’appartement devait être vaste car le trajet lui parut interminable. Elle
atteignit enfin la cuisine.
— Bonjour, vous en avez mis du temps ! allez ! Déshabillez-vous et donnez-moi un coup de
main.
Elle posa sa sacoche, et prit le temps d’observer le géant qui se tenait devant elle. Un colosse,
en jean et tee-shirt sur lesquels il avait enfilé un tablier de cuisine à motifs fleuris bordé de
petits volants. Ses bras musclés couverts de farine pétrissaient une grosse boule de pâte. De la
farine, il en avait aussi sur le visage, sur la moustache, et même dans les cheveux qui devaient
être noirs au départ.
— Nous ne sommes pas en avance, retroussez-vous les manches, il est déjà presque neuf
heures !
Elle se taisait, et l’homme n’avait pas l’air de s’en étonner. Par contre, de la voir là, au milieu
de sa cuisine, l’air désorienté et peu prompte à se mettre à l’ouvrage le perturbait sans doute
car il reprit immédiatement d’un ton ferme :
— Nous n’avons pas de temps à perdre. Ils seront là à onze heures, j’ai reçu un dernier
message tout à l’heure.
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