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Brusquement, elle se sentit replongée quelques années en arrière. Sans pouvoir résister à
cet élan, elle se laissa aller, prise dans le tourbillon du temps : elle se trouvait soudainement
avec son père, se promenant au bord d’un lac non loin de leur habitation. Tout de suite,
Mathilde pensa au tableau, elle savait pourquoi il lui était familier. Ils avaient l’habitude de se
balader tous les deux lorsque la maman de Mathilde travaillait. Ses horaires décalés
d’infirmière à l’hôpital l’obligeaient à s’absenter parfois le dimanche. Les couleurs étaient
magnifiques ce jour-là. Les arbres se reflétaient sur l’eau et le paysage donnait l’aspect d’un
tableau impressionniste. Pendant la marche, à un moment précis, son père resta pensif. Peut-
être se sentait-il déjà malade à ce moment-là, bien qu’il n’eût rien dit à sa famille. Mathilde
voulut rompre cette pause inquiétante :
— Papa ?
Il sortit de sa rêverie et lui parla naturellement, laissant de côté la raison de cette escale.
— Tu sais ma fille, je réfléchissais à une des citations que j’aime le plus et je voudrais que
tu la retiennes et la gardes dans tes souvenirs…
C’est ce jour-là qu’elle entendit pour la première fois la phrase écrite dans les premières
pages du livre. Mathilde avait quinze ans.
Cette citation résonne à présent dans sa boîte crânienne, son cerveau ondule de la voix de
son père qui s’entremêle autour de celle du monsieur comme deux serpents enlacés.
Son père, le monsieur ; le monsieur, son père… Serait-ce possible ?
Mathilde se réveille en sursaut. La sonnerie matinale fait un bruit assourdissant, elle a du
mal à comprendre où elle se trouve puis se rend compte qu’elle est dans son lit. La jeune
infirmière montre des difficultés à émerger. Tout ceci avait l’air si réel ! Son cauchemar était
très éprouvant et très… véridique. Mathilde se lève, une migraine terrible lui encombre
l’encéphale. La citation d’Alexandre Dumas continue de tourner dans son esprit comme dans
le tambour d’un lave-linge. Mathilde se prépare un grand café, le bruit de la cafetière est
compliqué à supporter, mais l’odeur la rassure. Les volutes de vapeur s’échappent de la
machine et enveloppent Mathilde d’un réconfort. C’est l’hiver, il fait froid. Le liquide chaud
qui descend lentement dans son corps la réchauffe. Il fait encore nuit. La jeune femme doit se
rendre chez Mme Jean pour sa dose d’insuline et la surveillance de son diabète. Des frissons
lui rappellent qu’elle n’a pas pris son polaire. S’habillant, elle sait qu’elle a fait un cauchemar
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