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N° 36                             La voix







                  Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du manoir, 5ème
               étage, porte gauche. Mais ce matin là, fatiguée par une nuit d’insomnie, elle s’arrêta au 4ème étage, et frappa
               porte gauche. A peine s’était-elle aperçue de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je
               vous attendais ».


                  La voix surprit Mathilde : un timbre masculin, doux, mais légèrement directif. Elle avança

               tout de même dans l’appartement, lentement,  avec curiosité et une pointe de méfiance.
               D’ordinaire, elle ne se serait pas  aventurée dans un logement inconnu,  mais là, une force

               dissimulée lui formulait qu’elle pouvait continuer sans aucune inquiétude.  Laissant
               momentanément de côté son rendez-vous du 5e étage, elle s’approcha de l’origine de la voix,

               comme hypnotisée. Au fond de l’appartement,  une porte ouverte l’invitait à s’approcher.
               Mathilde avança et entra avec réserve. La pièce affichait des couleurs rouge bordeaux. Elle

               ressemblait à un petit salon, une sorte de fumoir d’antan où les hommes se réunissaient entre

               personnes du même sexe. Une bibliothèque meublait une partie importante des murs de la
               pièce. Des fauteuils cosy attendaient Mathilde, mais personne ne semblait occuper le salon.

               Un éclairage doux  produit par des lampes  anciennes  en laiton, donnait à l’espace une

               sensation de bien-être. Le soleil n’était pas encore levé en cette heure matinale, une unique
               petite fenêtre témoignait d’un accès extérieur,  mais elle était si haute  que l’on apercevait

               seulement la nuit, quelques étoiles et la lune. L’astre brillait juste dans les yeux de Mathilde
               comme s’il avait choisi de se trouver là, à cet instant. La jeune femme fit un tour d’horizon

               complet du regard et, ne voyant aucun individu, esquissa une volte-face. C’est alors qu’elle
               l’entendit de nouveau :



                  — Attends, ne pars pas !


                  Mathilde remarqua le changement : la voix était passée de la deuxième personne du pluriel

               à la deuxième personne du singulier ; et elle  provenait bien du petit salon, se faufilant
               bizarrement dans la pièce, s’insinuant entre les livres, peut-être. Étrangement, Mathilde était

               interpelée par cette voix, ou plus exactement c’est comme si elle la connaissait depuis
               toujours. La voix devança ses pensées.



                  — C’est normal que tu ne me voies pas, personne ne me voit.

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