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En se rapprochant du piano, Alice vit que le tabouret de pianiste était plutôt une banquette,
identique à celle que sa mère et elle utilisaient. Pensive, elle ne put s'empêcher de caresser le
Steinway du bout des doigts, d'effleurer le clavier et de s'asseoir...
Xavier la scrutait, essayant de comprendre
Et si vous me disiez pourquoi ces larmes? Vous aimez la musique, Alice ? La musique
classique?
Elle mit du temps avant de répondre, pensive, puis convaincue, à ses côtés, elle lança:
La musique c'est mon enfance, ma jeunesse, ma mère...
Les notes la provoquant, ses doigts se mirent à s'agiter, impatients de se retrouver dans des
accords fusionnels.
Dix années de Conservatoire venaient de ressurgir avec l'omniprésence de sa mère qui, depuis
son enfance avait tenu contre vents et marées, à ce qu'elle fasse, comme elle, l'apprentissage
du piano. Toujours curieuse de la teneur du cours qu'elle venait de suivre, une fois rendues
chez elles, sa mère multipliait les applications sur la même thématique. Son père, voyageur de
commerce étant souvent absent, le temps n'existait plus alors qu'à travers Chopin ou De Bussy
avec des duos pleins d'émulation. Le piano, la musique devaient être toute sa vie... Le sort en
avait décidé autrement.
Repliée sur elle même depuis la disparition de ses parents, elle portait sa croix en
assumant son chagrin et l’injustice de la vie, comme une fatalité incontournable ou une
rédemption acceptée. Elle ne pensait pas que ses parents qui avaient organisé un cocon
familial heureux autour de leurs deux filles, eux qui avaient tellement de points communs,
pouvaient être également les victimes de la routine, usés par trente ans de mariage...
Aux disputes fréquentes, aux aigreurs des échanges, Alice tenace, avec la complicité de sa
sœur, les avait implorés de faire un effort, de ne pas briser ce foyer auquel elles tenaient tant.
Elle avait même organisé un weekend de retrouvailles à Deauville pour le festival...
Jamais elle n'aurait pu imaginer qu'un chauffard ivre, à vingt kilomètres de la maison les
percuterait de face après s'être endormi...
Alors n'y tenant plus, c'est avec rage et pugnacité qu'elle attaquât la Marche turque. Xavier,
éberlué à ses côtés admirait sa virtuosité et sa maitrise... Mozart y gagnait une subtilité toute
féminine que rien ne pouvait comparer à ce qu'il avait essayé de jouer auparavant. Apaisée et
rassurée elle asséna l'ultime note et se mit volubile, à tout raconter au peintre abasourdi:
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